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LE MONDE UN, ceci n'est pas un exercice
10 juillet 2019

2. Alien et moi

 

 

 

 

Hypnose ordinaire

 

Nous baignons dans une «hypnose fermée, quotidienne, accrochée à nos rôles, nos statuts et nos croyances.» Ainsi la phrase d'un journaliste "La séance est levée" semble avoir «une fonction purement descriptive, purement constatative.» Or, «si l'on se trouvait à une période où le pouvoir est contesté (...) les propos de ce journaliste n'apparaîtraient plus comme une simple description mais seraient entendus comme prenant part à la proférence abusive et illégitime du prétendu président d'un pseudo-Parlement.» Et de se demander «dans quelle mesure il n'en va pas de même pour toutes les propositions descriptives.(...) La "thérapie focalisée sur la solution" va même jusqu'à se servir presque exclusivement du principe de proférence: on invite simplement le patient à parler des exceptions à ses difficultés.» Ces questions «présupposent toutes que le changement a déjà eu lieu, elles interrogent sur ses diverses modalités, et par là elles ne cessent de le proférer et d'en favoriser la réalisation effective.» La connaissance hypnotique, Thierry Melchior

 

«[Les êtres humains] ont la capacité d'imposer une fonction aux objets qui, contrairement aux bâtons, aux leviers, aux boîtes (…), ne peuvent pas servir la fonction sur la base de leur structure physique, mais plutôt sur celle d'une certaine forme d'acceptation collective relative à une certaine forme de statut de ces objets.(...) Untel vaut pour chef, un certain type d'objet vaut pour monnaie dans notre société, et (…) telle ou telle séquence de sons ou de signes vaut pour phrase.(...) [Or,] pour que quelque chose soit de l'argent, de la propriété, du mariage, ou du gouvernement, les gens doivent avoir les pensées qui conviennent.(...) Il faut qu'ils aient les moyens de penser ces pensées, et ceux-là sont d'ordre symbolique ou linguistique.(...)  Le fait de reconnaître la validité ou l'acceptabilité d'une fonction de statut, ou quelque fois de reconnaître simplement son existence, donne à l'agent une raison d'agir indépendante du désir.(...) Tout le système social est fondé sur la capacité des agents humains à reconnaître des raisons d'agir indépendantes du désir et d'agir en leur nom.(...) [Ainsi,] ceux qui contrôlent le langage contrôlent le pouvoir.» Langage et pouvoir, John R. Searle

 

Selon Foucault, "le statut du sujet de l'énonciation [est] indispensable pour l'effectuation d'un énoncé performatif", mais "peu importe, pour qu'il y ait énoncé performatif, qu'il y ait un rapport en quelque sorte personnel entre celui qui énonce et l'énoncé lui-même". Par exemple, «peu importe si le président de la séance est indifférent vis-à-vis d'elle, si elle "le barbe tout à fait ou s'il somnole": en disant "la séance est ouverte", il aura de toute façon ouvert la séance. Au contraire, dans la parrêsia, cette indifférence vis-à-vis de la relation qui existe entre le locuteur et l'énoncé n'est pas possible.(...) L'énoncé parrèsiastique, en effet, est une force (une force perlocutoire) qui ouvre, pour le locuteur, un espace de risque indéterminé et qui, en même temps, le constitue en tant que "statue visible de la vérité" qu'il énonce.(...) L'étude de la parrêsia peut donc jouer le rôle de point d'appui pour une critique de cette injonction à l'authenticité, qui n'est au fond que l'une des formes contemporaines de notre assujettissement.(...) Le parrèsiaste, en effet, ne vise pas la réalisation de lui-même, de sa nature véritable, car la "vérité" qui est en jeu dans son discours n'est pas une vérité intime et personnelle qu'il serait appelé à manifester après l'avoir découverte.» La force du vrai, Daniele Lorenzini

 

«Le rite institue en ce qu’il sanctionne et sanctifie un ordre établi.(...) Le sacré religieux, comme le sacré politique ou social» désignerait «le mythe ou l’assurance intime (…) d’une totalité qui assumerait la charge de ce dont je ne suis pas responsable. Manière de théoriser l’impuissance.» Aussi, «cette force fascinante et terrifiante, les peuples lui attribuent des contenus divers: génies, Dieu, Auguste, valeurs métaphysiques, puissances supérieures mythifiées appartenant au domaine de l’indicible, inatteignable et informulable, de l’impératif catégorique, de l’inquestionnable institué, de l’arbitraire postulé, mais reportant en réalité dans l’invisible les raisons de l’ordre social et cosmique.» À cet égard, «une grande leçon de la modernité est celle de la distance critique. Je joue à croire que vous me croyez en pratiquant mon rite d’écriture. Et si vous êtes à cette fin de chapitre, sans doute croyez-vous un peu à ce que je dis, en pratiquant votre rite de la lecture inclus dans les rites de loisir. Moyen de se conforter mutuellement en se donnant l’impression d’une action pas totalement inutile !» Les rites profanes, Claude Rivière

 

«Dans un système où la personne apparaît comme un individu séparé de son milieu et de son histoire, les moralistes appellent "choix volontaire" le moment où elle se croit mue par une force endogène qui lui permettrait de faire un choix libre. Cette force métaphysique et imaginaire tente seulement de donner une cohérence à l'ensemble des tropismes et surdéterminations qui constituent la singularité de chaque être humain.(...) Un organisme n'agit jamais par rapport à une totalité dont il aurait "conscience", mais dans une totalité à laquelle il participe. La psychanalyse regorge ainsi de ces histoires où les patients essayent de construire, de façon narcissique, une cohérence, en appelant "décision" ce qui tout simplement est là, surdéterminé depuis longtemps.(...) La trop grande proximité nous empêche, en se concentrant sur les détails, de voir les articulations de l'ensemble (c'est d'ailleurs ce manque d'ajustement qui invite les individus à se promener dans leurs vies en persévérant dans leur ridicule sensation d'être si singuliers et si uniques).» Organismes et artefacts, Michel Benasayag

 

«Le lexique des qualités s'applique aux êtres humains, à leurs comportements, à leurs âmes. Il interagit avec eux. Il présente un effet de boucle, c'est-à-dire qu'il doit être révisé parce que les personnes qualifiées se transforment en réponse au fait d'être qualifiées.(...) Il fut un temps ou des mots comme "maigre", "embonpoint", ou simplement "gras" étaient simplement des qualités. Mais maintenant on leur a accolé des quantités.(...) Nous vivons actuellement l'accélération toujours croissante de la quantification. Mais (...) ce n'est pas tant sur la quantification elle-même que j'attire l'attention. C'est plutôt la manière qu'ont des qualités quantifiées à être plus efficaces sur nous, à nous façonner, à changer ce que nous pensons de nous-mêmes et des autres. Car nous avons atteint la connaissance objective, ou c'est ce que nous avons souvent tendance à croire. C'est une des manières profondes qu'a la quantité de prendre le dessus sur la qualité dans les affaires humaines.(...) [Par exemple,] je pense que la présence du pèse-personne dans la salle de bains est une précondition de la possibilité de l'actuelle épidémie d'anorexie nerveuse dans de nombreuses parties du monde.» La qualité, Ian Hacking

 

«Une philosophie mentale est une pensée qui assure d'abord l'autonomie du mental en le détachant du monde extérieur (matériel), pour se poser ensuite le problème inextricable de l'interaction entre le mental et le physique.» En revanche, pour l’intentionaliste, «l'action intentionnelle n'est pas un effet de la pensée de l'acteur, elle en est une expression.» De même, suivant le "holisme anthropologique" : «Les états intentionnels d'une personne doivent s'entendre d’états qu'elle a dans son monde anthropologique, donc avec l'histoire et l'éducation qui sont les siennes.(...) On agit sur quelqu'un, on le manipule en tenant pour acquis que cette personne fait partie d'un tout plus large, et qu'on peut amener cette personne à décider d'une certaine façon ou à adopter notre cause en agissant sur ce tout.(...) L'image de la manipulation est plutôt celle d'une marionnette dont l'orateur habile saurait tirer les ficelles. S'il y avait un mécanisme, il serait dehors, car la personne à persuader, loin de contenir sous son épiderme la chaîne causale qu'il s'agit d'activer, est lui-même imaginé comme une pièce appartenant à la machine.» La denrée mentale, Vincent Descombes

 

 

Qui a fait ça ?

 

«La liberté de l'action est (en gros du moins) la liberté d'agir selon ses désirs. De façon analogue, l'énoncé qu'une personne jouit de la liberté de la volonté signifie (en gros également) qu'elle est libre de désirer ce qu'elle désire désirer.(...) C'est en prenant conscience de l'écart entre sa volonté et ses volitions de second niveau, ou en se rendant compte que leur concordance n'est pas son œuvre mais l'effet d'un pur hasard», que l'individu «ressent son manque de liberté.(...) Ou bien sa volonté tend à être paralysée et il sera dans l'incapacité d'agir, ou bien il tend à se désengager vis-à-vis de sa volonté, qui va opérer sans sa participation.» Ainsi réduit à être le «spectateur impuissant des forces qui le meuvent», il se voit «détruit en tant que personne.» En revanche, «lorsqu'une personne s'identifie de manière définitive à un de ses désirs de premier niveau, cet engagement "résonne" à travers l'ensemble potentiellement infini des niveaux supérieurs.(...) Elle a décidé qu'il n'y a plus, à quelque niveau que ce soit, de questions à poser quant à sa volition de second niveau.» La liberté de la volonté et la notion de personne, Harry Frankfurt

 

«Appelons C la transformation phénoménale et ses processus. Appelons C’ les processus sous-jacents du noyau conscient.(...) C’ déclenche des états C correspondants. Il n’y a pas d’autre façon pour un animal individuel de faire directement l’expérience des effets de C’.» Donc, même si «C lui-même ne peut-être causal,(...) le déclenchement de C par C’ fournit aussi un puissant moyen de communication des états C’ aux autres individus.(...) Ces individus peuvent échanger des informations même sur la base de la croyance erronée selon laquelle leurs états C ont un caractère causal.» Cela «ne contredit pas les jugements esthétiques ou éthiques dans la mesure où les contraintes de systèmes conscients comme C’ dépendent en fin de compte des systèmes de valeur.» Lesquels agissent «sur les réponses neuronales qui affectent l'apprentissage et la mémoire, et qui contrôlent les réponses corporelles nécessaires à la survie. C'est pour cette raison qu’on les appelle systèmes de valeur.» Plus vaste que le ciel, Gerald Edelman

 

«La causalité mentale est au centre de la conception que nous avons de nous-mêmes. S’il n’était pas le cas que nos croyances causent (une bonne partie) des sons et des caractères que nous produisons et que, en général, nos intentions causent (une bonne partie) de notre comportement, nous ne serions pas des êtres libres.» Celui «qui ne se laisse pas entraîner par ses désirs, mais qui en prend soin, veillant à ce que sa volonté soit formée par des désirs qu’elle désire d’avoir, satisfait la condition nécessaire et suffisante pour qu’on puisse lui imputer ses actions.(...) Cette position inclut la notion d’autonomie. En adoptant des volitions de second ordre et en prenant ainsi soin des désirs qui forment la volonté, on s’impose soi-même des normes et l’on s’efforce de faire en sorte que ces normes guident la volonté.» Par exemple, «le fumeur peut désirer que le désir d’arrêter de fumer forme sa volonté.» Ce concept de liberté ne signifie pas l’absence de causes, mais «la capacité de prendre soin de sa volonté en la formant suivant sa propre vision de la personnalité qu’on désire être.» La philosophie de l’esprit, Michael Esfeld

 

«L'ancrage [de la] quête de responsabilité est toujours simplement une action dans sa plus grande simplicité: un mouvement qui a pour cause une intention, au moins sous une description de cet événement.» Or, «l'intention d'une action est finalement ce qui répond à la question "pourquoi faites-vous cela ?". "Pourquoi" veut dire: pour quelle raison.(...) Et ce que nous appelons raison de l'action, quand elle est dirigée vers le futur, c'est une justification que nous anticipons (nous avons une visée prospective d'une rétrospection).» Mais alors, «si le rapport d'une action à son intention est celui d'une conséquence à sa raison, il s'agit d'un rapport logique, ce qui exclurait donc un rapport causal.» De fait, «pour que les raisons puissent fonctionner comme des causes, il faut que nous puissions sélectionner dans les actions particulières des noyaux de conditions qui restent stables par rapport aux réarrangements, mises à jour, et révisions.» Car, «une révision, c'est une incohérence apparente,(…) mais c'est aussi une cohérence supérieure, puisqu'elle est justifiée par un obstacle à la réussite de l'action.» Qu'est-ce qu'une action ?, Pierre Livet

 

«Nous pouvons éduquer nos émotions mais pas les supprimer entièrement, et les sentiments que nous avons en nous témoignent bien que nous n'y parvenons pas.» Par ailleurs, «il est également possible de distinguer conscience et esprit: la conscience est la partie de l'esprit qui a trait au sens manifeste que l'on a de soi et que l'on a de connaître. Il faut plus pour l'esprit que la seule conscience, et il peut y avoir esprit sans conscience.(...) Les mécanismes à l'origine de la conscience ont perduré parce que le fait de savoir qu'on éprouve une émotion présentait une utilité.(...) Un dispositif capable de maximiser la manipulation effective d'images au service des intérêts d'un organisme particulier a dû procurer d'énormes avantages.» Plus précisément, la conscience «établit entre la machinerie biologique de la régulation de la vie et la machinerie biologique de la pensée [un rapport qui] permet à son tour l'apparition d'une préoccupation individuelle omniprésente à travers toutes les formes d'activité mentale, susceptible de rassembler tous les processus de résolution des problèmes et d'inspirer des solutions à ces derniers.» Libre arbitre et neurobiologie, John R. Searle

 

«Les émotions sont des perceptions des valeurs.» De plus, «l'intensité d'une émotion doit correspondre au degré de la valeur en question.» Ainsi, «l'idéal de l'agent moral comme être purement rationnel et dénué de toute réaction émotionnelle doit (...) être substitué par celui d'un agent dont les émotions sont appropriées.» Par ailleurs, «nous sommes dotés d'une sensibilité à l'égard des valeurs susceptible de se détériorer, mais certainement aussi de se développer.» Par exemple, «en s'identifiant avec les personnages d'un roman, le lecteur revit les émotions de ces derniers. Grâce au contexte, cela lui enseigne non pas de manière théorique, mais à travers des exemples, quelles sont les situations susceptibles de mériter des émotions.(...) Le processus ne vise donc pas à transmettre de la connaissance au sujet des principes, mais modifie les dispositions émotionnelles de la personne, si bien que, dans les cas favorables, les émotions de cette dernière seront plus fréquemment appropriées.» Car, «le problème de celui qui souffre de faiblesse de la volonté, c'est que, bien qu'il croie fermement, et peut-être même de manière justifiée, que certaines actions sont désirables, cette croyance reste purement théorique.» Émotions et valeurs, Christine Tappolet

 

«Les affirmations de la raison pratique, si elles doivent réellement nous donner des raisons d'agir, doivent être capables de motiver des personnes rationnelles.(...) On pense parfois, sur la base de l'exigence internaliste, que s'il y a une raison de faire quelque chose, on doit pouvoir convaincre quelqu'un de le faire.(...) La raison pour laquelle une action est bonne est à la fois la raison et le motif de la faire.» Cette requête internaliste «montre les conclusions psychologiques qu'implique la théorie morale.(...) Nous savons que nous pouvons faire ce que nous devons. Mais rien ne peut nous le garantir, car notre connaissance de nos motifs est limitée. La conclusion est que si nous sommes rationnels, nous allons agir comme nous le dicte l'impératif catégorique. Mais nous ne sommes pas nécessairement rationnels.» Néanmoins, «le fait que la loi puisse ne pas gouverner la conduite, même quand quelqu'un la comprend, n'est pas une raison d'être sceptique : la nécessité est dans la loi, et non en nous.» Le scepticisme concernant la raison pratique, Christine M. Korsgaard

 

«Les théoriciens ainsi que le grand public n'ont cessé d'interpréter les adjectifs servant à qualifier une activité ingénieuse, de sage, de méthodique, de soigneuse, de spirituelle, etc., comme désignant l'émergence, dans le flux caché de la conscience, de processus particuliers fonctionnant comme précurseurs fantomatiques ou, plus précisément, comme causes occultes des activités ainsi caractérisées.(...) De même que l'étranger s'attendait à ce que l'Université soit un bâtiment supplémentaire, à la fois semblable aux collèges et considérablement différent d'eux, de même les détracteurs du mécanisme représentaient l'esprit comme un centre supplémentaire de processus de causalité, assez semblable aux machines tout en différant considérablement d'elles.(...) Je maintiens qu'en décrivant les fonctionnements de l'esprit d'un individu, on ne décrit pas un second ensemble d'opérations fantomatiques. On ne fait que décrire certaines parties de sa vie.(...) L'esprit n'est pas une "localisation". En revanche, l'échiquier, l'estrade, le bureau de l'homme de science, le fauteuil du juge, le siège du camionneur, le studio, le terrain de football sont des localisations de l'esprit : c'est là, en effet, que les êtres humains travaillent ou se divertissent plus ou moins intelligemment.» La notion d'esprit, Gilbert Ryle

 

 

Résistance plastique

 

«Chacun de nous a tendance à accorder plus d'importance à l'autorité qu'à l'individu. Nous voyons en elle une force impersonnelle dont les diktats l'emportent sur le souhait ou le désir d'un simple mortel.» Il est «par trop simpliste de se représenter le défenseur d'une noble cause comme un individu en lutte perpétuelle avec l'autorité malveillante. La vérité est que l'essentiel de sa noblesse, les valeurs qu'il oppose à l'autorité malveillante ont elles-mêmes leur origine dans l'autorité.» En réalité, «la recherche d'une explication totalement personnalisée de l'obéissance () trahit une tendance culturelle profondément enracinée à voir dans les actes la conséquence d'un trait permanent de l'individu plutôt que le résultat de l'interaction de la personne et de son environnement.(...) Dans la vie quotidienne, beaucoup de gens accomplissent des actions dont ils attribuent l'origine à leurs qualités morales alors qu'elles leur sont également dictées par l'autorité.» Soumission à l'autorité, Stanley Milgram

 

«Les idées abstraites sont le produit d'un étrange renversement qui fait que les idées particulières, seules "réelles", nous apparaissent spéculairement comme les cas particuliers d'un fantasme.» Dès lors, on caractérisera ainsi «la formation d'une autorité: le renversement de l'inexistant en quelque chose qui est plus réel, par sa force symbolique, que les existants qui l'ont conditionné.» De cette façon, «l’autorité fabrique un abri contre la violence du réel; elle est un échange ou une substitution de dominations.(…) L'autorité n'est pas le réel quoiqu'elle puisse se donner pour tel, puisqu'elle est la gestion qui aménage l'éclat impensable du réel.(...) L'autorité est liée au fait qu'il faut inévitablement trancher les problèmes de valeurs ; l'existence même le demande.(...) La réflexion de la valeur sur elle-même fait l'autorité.» D’ailleurs, celle-ci «peut constituer des replis en elle-même et se faire autorité de l'autorité. Ce qu'on appelle la légitimité, qu'on entend parfois distinguer de la légalité, n'est autre chose que le droit qu'a l'autorité de s'exercer.(...) L'autorité fait partie de ces "objets transitionnels" que nous recueillons ou construisons depuis la plus tendre enfance pour nous rendre la réalité supportable.» Qu'est-ce que l'autorité ?, Jean-Pierre Cléro

 

«L'acquisition du "Non" sémantique» va de pair avec «le début de la conscience du Soi.» Progressivement, l'enfant «manifeste une scission entre le Moi et le Soi.(...) Le Moi applique ici au Soi le même moyen qu'il avait appris à appliquer envers sa mère (...) à l'aide d'une "identification avec l'agresseur"». Ceci avait conduit à «une objectivation croissante de la mère. Maintenant, l'emploi du "Non" dans ses jeux conduira à une objectivation croissante du Soi.» Ce faisant, «la soumission passive au déplaisir est remplacée par l'agression active. Cette restructuration possède une contrepartie idéationnelle, à savoir la première apparition de la faculté d'abstraction.(...) Lorsqu'il devient possible d'employer le refus ou l'assentiment verbal à la place de la haine ou de l'amour, de la résistance ou de la soumission, du combat ou de la fuite, l'étape de la négociation et de la discussion a été amorcée. La communication a déplacé l'action et l'a fait accéder au niveau social.(...) Il est significatif que ce progrès conduit également à une économie d'énergie, tout en étant incomparablement plus efficace pour réaliser les buts de l'individu.» Le non et le oui, René Spitz

 

«Quelqu'un qui se montre capable de suivre une règle ne le fait jamais pour la première fois.(...) C'est toujours après l'avoir suivie sans être encore capable de se formuler à lui-même ce qu'il faisait.(...) Il faut accepter d'être d'abord incompétent et, pour cette raison, en situation d'hétéronomie, si l'on veut pouvoir sortir un jour de cet état.» Supposons «un novice dans tous les domaines : dans ce cas, le mot "faux" [prononcé par l'instructeur] ne signifie pas qu'il a fait une réponse incorrecte (car il ne comprend pas ces mots), mais ce mot l'arrête comme si l'instructeur l'avait tiré en arrière et empêché de continuer.» Par la suite, «l'instructeur se borne à dire qu'il y a un obstacle, et il le dit en l'absence de tout obstacle physique.» On reconnaît là «le cercle moral de l'autonomie, laquelle s'entend ici au sens des aptitudes acquises par l'exercice, et non le cercle vicieux de l'auto-position d'un sujet qui devrait devenir par son acte l'agent de son acte. Je parle d'un cercle moral pour souligner que l'exercice vise à développer chez l'agent des capacités d'agir, des dispositions à agir, des aptitudes, des habitudes, donc des mœurs.» Le complément du sujet, Vincent Descombes

 

«Notre comportement est influencé par ce que nous nous disons à nous-mêmes.» Plus précisément, nos “systèmes de traitement de linformation sont susceptibles d’engendrer «des troubles préjudiciables du comportement.» C’est, par exemple, le cas chez l’obsessionnel qui «intériorise au cours de lapprentissage de la propreté un “surmoi cruelqui entre en conflit avec les tendances pulsionnelles profondes imprégnées dagressivité et d’érotisme anal.» Pour s’en défendre, il développera des formations réactionnelles comme «les tendances aux cadeaux, la résignation, la soumission, la prodigalité, la propreté excessive», ou pour contrer plutôt son agressivité, «la politesse exagérée, l’obséquiosité, la bonté, la défense des faibles, le souci de la justice, le respect de toute autorité.(...) On retrouve ici le fonctionnement sadomasochiste de lenfant envers sa mère, fait de soumission apparente et de révolte cachée.» On reconnaîtra dès lors «les obsessionnels bien adaptés dans leur aptitude à bien assumer des fonctions à responsabilité à condition quils soient dirigés eux-mêmes par un chef quils estiment et qui leur accorde sa confiance.» Car, «le désir de lobsessionnel ne peut exister par lui-même.» Manies, peurs et idées fixes, Frank Lamagnère

 

Les "intuitions du bon voisin" «sont le produit d’une formation éthique à laquelle concourent depuis l’enfance toutes les “autorités” et qui vise à nous faire acquérir une seconde nature civilisée», de sorte que «nous attendons de nos voisins chaque matin dans l’ascenseur qu’ils aient une répugnance “naturelle” pour le meurtre. Cette “attente morale” nous est si familière qu’elle passe presque inaperçue.» Or, dans le cas particulier du citoyen dans une “guerre juste", «l’autorité de l’État (…) m’impose des mains sales que je n’ai pas choisies.» De plus, «en donnant à l’agent un motif de se “réfugier derrière l’excuse”, elle encourage la mauvaise foi.» Cela semble «renouer avec tous les mythes de l’État comme incarnation de “l'esprit objectif” (...) ainsi qu’avec les antiques justifications du gouvernement théocratique.» Car, on pourrait «formuler une méta-question du type: “Bon voisin, bon citoyen, qu’importe ! Que ferait un vrai chrétien ?”. Ce serait introduire un troisième point de vue (celui du droit enfant de Dieu) et lui donner, de manière expéditive, un privilège sur les deux premiers.» Le dilemme du soldat, Nicolas Tavaglione

 

«Dans tous les cas où l'on serait dit communément faire un jugement éthique, la fonction du mot éthique employé est purement "émotive".(...) Un signe complexe de la forme "x est mal" peut constituer ou bien une phrase qui exprime un jugement moral concernant un certain type de conduite ou bien une phrase qui établit qu'un certain type de conduite est répugnant au sens moral d'une société particulière. Dans le dernier cas, le symbole "mal" est un symbole éthique descriptif, et la phrase où il se rencontre exprime une proposition sociologique ordinaire.(...) Les termes éthiques ne servent pas seulement à exprimer des sentiments. Ils sont destinés aussi à susciter les sentiments, et ainsi à stimuler l'action.(...) Ainsi l'énoncé : "Dire la vérité constitue votre devoir" peut être regardée à la fois comme l'expression d'une certaine sorte de sentiment éthique sur la véracité et comme l'expression du commandement : "Dites la vérité".(...) Une des principales causes du comportement moral est la crainte, à la fois consciente et inconsciente du déplaisir d'un dieu, et la crainte de l'inimitié de la société. Et cela est en effet la raison pour laquelle les préceptes moraux se présentent à certaines personnes comme des commandements catégoriques.» La critique de l'éthique, Alfred Jules Ayer

 

«La volonté est une sorte de causalité des êtres vivants, en tant qu'ils sont raisonnables, et la liberté serait la propriété qu'aurait cette causalité de pouvoir agir indépendamment de causes étrangères qui la déterminent ; de même que la nécessité naturelle est la propriété qu'a la causalité de tous les êtres dépourvus de raison d'être déterminée à agir par l'influence de causes étrangères.(...) Il est impossible de concevoir une raison qui en pleine conscience recevrait pour ses jugements une direction du dehors ; car alors le sujet attribuerait, non pas à sa raison, mais à une impulsion, la détermination de sa faculté de juger.(...) Comme être raisonnable, faisant par conséquent partie du monde intelligible, l'homme ne peut concevoir la causalité de sa volonté propre que sous l'idée de la liberté.(...) Et ainsi des impératifs catégoriques sont possibles pour cette raison que l'idée de la liberté me fait membre d'un monde intelligible. Il en résulte que si je n'étais que cela, toutes mes actions seraient toujours conformes à l'autonomie de la volonté ; mais, comme je me vois en même temps membre du monde sensible, il faut dire qu'elles doivent l'être.» Fondements de la métaphysique des mœurs, Emmanuel Kant

 

 

Libre service

 

«Plus ils avancent en âge, plus les enfants pensent que les renforcements qu’ils reçoivent dépendent davantage de leurs comportements et de leurs caractéristiques personnelles que du hasard, ou de la chance ou d’autrui.(...) Cette prédominance (…) n’a jamais été considérée comme une erreur. Bien au contraire, elle est apparue comme une caractéristique associée à ce qu’il y a de mieux dans notre culture.(...) [De fait.] l'internalité consiste le plus souvent à attribuer à la nature des gens les nécessités environnementales.(...) Un bon travail n'est plus la valeur attendue par un environnement scolaire ou organisationnel, mais l'expression même de la nature de cet élève qu'on dit être travailleur, intelligent.(...) [Or.] les processus de naturalisation que nous venons d'associer à l'acquisition de l'internalité sont très proches des processus décrits par les théoriciens du développement moral lorsqu'ils avancent que pour être acquises par l'enfant les valeurs morales ne doivent plus être ressenties comme des contraintes externes mais comme des nécessités personnelles.(...) Retenons que l'internalité ne prédispose pas à devenir un "brave gars", mais à devenir une "bête" dans les démocraties libérales.» La Norme d’internalité et le libéralisme, Nicole Dubois

 

«Les gens n'ont pas accès aux déterminants de leurs jugements ou de leurs comportements, même s'ils ont, évidemment, des "théories" concernant ces déterminants.(...) Ces "théories" sont plus belles qu'exactes, leur fonction étant davantage de générer des images confortables de l'homme.(...) Les gens évoquent volontiers des facteurs (le plus souvent internes) qui n'ont pu opérer et en négligent d'autres (le plus souvent externes) pourtant déterminants.» Il ne s'agit donc plus «de peser sur les idées pour modifier les comportements, mais (...) on s'efforcera d'obtenir de nouveaux comportements en supposant que ces nouveaux comportements ne manqueront pas d'affecter l'homme lui-même.(...) L'engagement correspond, dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d'un acte ne peut être imputable qu'à celui qui l'a réalisé.(...) Quand une personne est déclarée libre de faire ou de ne pas faire quelque chose, et qu'elle le fait, elle va se reconnaître dans cet acte et en assumer la signification.(...) La rationalisation est précisément le processus par lequel une personne ajuste a posteriori ce qu'elle pense (ses attitudes) ou ce qu'elle ressent (ses motivations) à l'acte qu'un agent de pouvoir a su obtenir d'elle.» La soumission librement consentie, Beauvois & Joule

 

La norme d’internalité est «finie comme la valorisation socialement apprise des explications des événements psychologiques qui accentuent le poids de lacteur comme facteur causal.(...) Pour l’enfant soumis aux systèmes de conduites effectivement libéraux (…), l’internalité peut apparaître comme la réalité causale des choses.» En revanche, «pour l’enfant soumis à des systèmes de conduites où s’affirment davantage les positions de pouvoir et de rapports de force (…), l’internalité a plus de chance d’apparaître comme ce quil faut apprendre à mettre en avant pour montrer quil participe aux normes sociales ou, du moins, quil les connaît.» D'ailleurs, «il a été montré (...) que les sujets internes étaient évalués plus favorablement que les sujets externes, tant affectivement qu’institutionnellement.(...) Être clairvoyant peut aller à l’encontre, pour un sujet interne, des bénéfices de linternalité, et pour un sujet externe, des conséquences négatives de lexternalité.» Perspectives cognitives et conduites sociales, Beauvois, Joule & Monteil

 

«La liberté d'agir dans nos démocraties avancées ne serait-elle pas l'arme absolue des manipulateurs ? Croyant agir en toute liberté, nous serions, en fait, manipulés par celle-ci. On rappellera que le sentiment de liberté associé à un comportement émis par une personne est (...) une des conditions favorisant l'engagement et donc la probabilité qu'un individu émette le comportement attendu par une personne.(...) L'engagement serait le lien qui unit l'individu à ses actes. De fait, en s'engageant, même verbalement, on active une pression de nature psychologique qui nous conduira à tenter d'accomplir ce à quoi on s'est engagé. Il en va de même des actes que nous avons commencés à accomplir.» Par ailleurs, «l'individu tire de l'examen de ses comportements les traits et attitudes qu'il possède. Si un comportement est émis en l'absence de pressions externes, il est imputé à des dispositions internes.» De sorte que «flatter l'ego par une étiquette positive peut donc s'avérer redoutable car le trait activé a une forte propriété engageante en raison du besoin du sujet à agir en cohérence avec ce trait.» Psychologie de la manipulation et de la soumission, Nicolas Guéguen

 

La “théorie mimétique“, «insiste sur le suivisme universel, sur l’impuissance des hommes à ne pas imiter les exemples les plus faciles, les plus suivis, parce que c’est cela qui prédomine dans toute société.(...) En s’engouffrant dans la direction déjà choisie, les mimétiques, les mimic men se félicitent de leur esprit de décision et de liberté. Il ne faut pas se leurrer. Dans une société qui ne lapide plus les femmes adultères, les hommes n’ont pas beaucoup changé. Il y a toujours prolifération de scandales et expulsion cathartique du désordre par l’intermédiaire de mécanismes sacrificiels non perçus en tant que tels.» Mais, «les philosophes ont détaché artificiellement l’imitation de tout ce qu’on peut nommer désir, appropriation, dynamisme individuel, élan vital, projet existentiel, etc. (...) Il faut montrer que l’être auquel l’homme aspire est toujours celui d’un modèle.» Il faut donner à «ce qui n’est pas mécanique et pourtant ne diffère pas du tout dans sa forme de ce qui l’est, un relief que la libre décision n’a pas chez les penseurs qui ont toujours la liberté à la bouche et de ce fait même, croyant l’exalter, la dévaluent complètement.» Automatismes et liberté, René Girard

 

«On est un moi que parmi d'autres "moi*.(...) Je définis qui je suis en définissant d'où je parle, dans la généalogie, dans l'espace social, dans la géographie des statuts et fonctions de la société, dans mes relations intimes avec ceux que j'aime, et aussi, de façon capitale, dans l'espace d'orientation morale et spirituelle à l'intérieur duquel je vis les relations les plus importantes qui me définissent.(...) Une image répandue du moi, selon laquelle celui-ci tirerait de lui-même (du moins potentiellement et idéalement) ses raisons d'être, ses buts et ses projets de vie, et chercherait à développer des "relations" seulement dans la mesure où elles seraient "enrichissantes" pour lui, se fonde largement sur l'ignorance de notre engagement dans des réseaux d'interlocution.(...) Il est clair que l'indépendance peut devenir une question bien superficielle lorsque des masses de gens essaient d'exprimer leur singularité de façon stéréotypée. C'est une critique qu'on a souvent adressée à la société moderne de consommation, qu'elle tend à engendrer des troupeaux d'individus conformistes.(...) Tout se passe comme si nous n'étions "réellement" que des individus séparés, et que telle était la bonne façon d'être.» Les sources du moi, Charles Taylor

 

«La mobilisation totale à laquelle nous assistons aujourd'hui, à l'époque la plus libérale de l'histoire humaine, est potentiellement une soumission totale, mais volontairement acceptée, et même recherchée. Cette disposition est un caractère anthropologique fondamental : que les humains soient à ce point disponibles à l'imposition est lié à un manque constitutif qui les définit comme tels – et qui, positivement, se place à l'origine de la culture et du progrès, comme compensation de la déficience propre à l'humain.(...) Le donné fondamental et inattendu de l'émergence est la soumission ; mais c'est justement de là que part l'émancipation.(...) Les décisions sont suscitées par la réalité, laquelle n'est pas un être vaguement anthropomorphe, mais bien une source d'obstacles qui nous contraint à prendre position puis, dans certains cas, à prendre une décision.(...) Sans ontologie, donc, pas d'épistémologie et pas d'éthique, puisque celle-ci commence lorsqu'il y a un monde extérieur qui nous provoque en nous permettant d'accomplir des actions, et non pas simplement de les imaginer.» Émergence, Maurizio Ferraris

 

«La science moderne s'est développée en vertu d'un partage radical entre le réel et le sensé. Le réel était l'affaire de la science, le sensé relevait de la métaphysique, c'est-à-dire, en l’occurrence, de Dieu.(...) Dieu fut éliminé, et le sens avec lui.(...) Plus on a fait crédit à la science, plus il est devenu difficile de la remettre en cause, car le vide et l'angoisse qui s'ensuivraient seraient insupportables.(...) Ainsi s'est mis en place un système général de pensée et d'action qui tend à s'imposer partout, en toutes circonstances. On l'appellera le dispositif.(...) [Or,] parce qu'il est universel, le dispositif manque l'essentiel.(...) Une des raisons majeures du succès de l'idéologie libérale tient à ce qu'en flattant les goûts et en stimulant les désirs, elle confère au déploiement technoscientifique son intensité maximale. Elle réalise bien mieux que les régimes autoritaires ou totalitaires la "mobilisation totale", parce que dans le non-sens général chacun a l'impression de poursuivre son but propre. Ce qui permet de joindre, au nihilisme, l'énergie et la productivité auxquelles nuirait une reconnaissance explicite du nihilisme.(...) Pour échapper à l'absurde, il faudrait revenir au questionnement métaphysique.» Itinéraire de l'égarement, Olivier Rey

 

«Le mode de vie est la face sous laquelle le système se présente aux acteurs, en leur imposant des attentes de comportement déterminées.(...) Ce ne sont pas les individus qui sont déterminés par le système, mais les modes de vie ; et les modes de vie se caractérisent par des attentes de comportement imposées aux individus.(...) [Dans le même temps,] le respect des droits individuels permet de nous faire avaler le système dans son ensemble, à l'image du principe de précaution qui, en se centrant sur telle ou telle technique, se garde bien d'interroger la technologisation du monde en tant que telle.(...) L'éthique de notre temps, tout entière centrée sur la défense de ses principes, renonce à tout jugement global sur le monde ; l'éthique de la civilité réduit la pensée éthique à l'impuissance.(...) Quelle éthique dénoncera non les imperfections du système, mais le système lui-même et le mode de vie qu'il nous impose ? (…) [C'est ainsi que,] l'accomplissement des libertés individuelles conduit à la tyrannie des modes de vie.» La tyrannie des modes de vie, Mark Hunyadi

 

 

Contre la démoralisation

 

«Comment être libre quand une grille explicative implacable nous interdit de concevoir le monde d’une façon différente de celle imposée par les automatismes socio-culturels qu’elle commande ?» En effet, «pour agir il faut être motivé et nous savons que cette motivation, le plus souvent inconsciente, résulte soit d’une pulsion endogène, soit d’un automatisme acquis et ne cherche que la satisfaction, le maintien de l’équilibre biologique, de la structure organique.» Ainsi, l’individu normal «reste persuadé de son dévouement, de son altruisme, cependant qu’il n’a jamais agi que pour sa propre satisfaction.» Notamment, «on lui apprend à servir” , autrement dit on lui apprend la servitude à l’égard des structures hiérarchiques de dominance.» À force, «cette servitude devient alors gratification.» D’autre part, «le conflit qui s'établit dans nos voies nerveuses entre les pulsions et l’apprentissage de la punition (…) mettra en jeu une réaction endocrino-sympathique, préjudiciable, si elle dure, au fonctionnement des organes périphériques.» Étant donné un tel “système inhibiteur de l’action“, «il ne reste plus que la soumission avec ses conséquences psychosomatiques, la dépression ou la fuite dans l’imaginaire des drogues et des maladies mentales ou de la créativité.» Éloge de la fuite, Henri Laborit

 

«La connotation religieuse qui imprègne les représentations de l’ADN (...) alimente les narrations typiques de l’essentialisme génétique pour lesquels cette structure moléculaire possède des facultés mystiques. En fait, l’ADN a acquis un statut culturel semblable à celui de l’âme dans la Bible.» De sorte que «l’ADN semble être la notion pertinente pour examiner les problèmes de la morale, de la personnalité et du statut social des individus.(...) Le génome se présente comme une structure “solide” et inaltérable à laquelle on peut se référer pour bien marquer les frontières entre l’homme et l’animal, l’homme et la machine, moi et l’autre, “eux” et “nous”.» Ainsi, d’un côté on espère «que la découverte de gènes de la dépression ou de gènes responsables d’autres maladies mentales pourra réduire le stigmate social attaché au fait d’être différent.» Mais d’un autre côté, «ce genre de découverte pourrait affecter le droit de procréer pour les malades mentaux.» D’autant que se profile un “contrôle positif” de la reproduction grâce à une «Banque du choix germinal, une banque de sperme proposant l’ADN “d’individus supérieurs”.» La mystique de l'ADN, Nelkin & Lindee

 

«L’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être. Non pas ce qu’il voudra être. Car ce que nous entendons ordinairement par vouloir, c’est une décision consciente, et qui est pour la plupart d’entre nous postérieure à ce qu’il s’est fait lui-même.» C’est-à-dire à «un choix plus originel, plus spontané que ce qu’on appelle volonté.» Et à partir duquel, «je crée une certaine image de l’homme que je choisis», de sorte que «en me choisissant, je choisis l’homme.» Il s’ensuit que «tout homme qui se réfugie derrière l’excuse de ses passions, tout homme qui invente un déterminisme est un homme de mauvaise foi.(…) Je dirai qu’il y a aussi mauvaise foi si je choisis de déclarer que certaines valeurs existent avant moi; je suis en contradiction avec moi-même si, à la fois, je les veux et déclare qu’elles s’imposent à moi.» En même temps, l’homme «se rend compte qu’il ne peut rien être ( au sens où l’on dit qu’on est spirituel, ou qu’on est méchant, ou qu’on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel.» Ainsi, «découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l’intersubjectivité, et c’est dans ce monde que l’homme décide ce qu’il est et ce que sont les autres.» L’existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre

 

La vertu comme “vraie richesse“ «n’a rien de commun avec ces biens extérieurs qui font courir les hommes au-delà de toute raison.(...) Fondée sur l’effort qui est un bien, elle se révèle une arme imprenable.» Il s’agit donc de «faire table rase de toutes ces coutumes et de toutes ces conventions que la société, pour se maintenir, s’ingénie à inculquer à chacun de ses membres.» En fait, le Cynique «ne considère pas qu’il y a un mystère du monde à percer ni quune divinité a fait l’univers pour l’homme.(…) D’où cette falsification de la philosophie elle-même qui embarrassa tant Platon» puisque, suivant Diogène, «jouer au sage, c’est aussi de la philosophie.(...) Voilà bien la formule du bonheur, le code de la vraie réussite d’une vie. Découvrir ses limites, bien sûr, mais avec sérénité: notre condition mortelle n’a rien de si fâcheux quand on l’a assumée d’avance comme une nécessité naturelle sur laquelle on n’a aucun pouvoir, sinon le pouvoir même de l’accepter librement. Tout le reste, par ailleurs, ou peu s’en faut, semble devoir obéir à la maîtrise du sage qui sait se posséder lui-même.» Les Cyniques grecs, M.-O. Goulet-Cazé

 

Les pragmatistes «pensent que la recherche de la certitude, même si on la considère comme un but à atteindre à long terme, n'est qu'une tentative de fuir le monde.» Ils rejettent de même «l'idée que l'on puisse "découvrir la nature intrinsèque de la réalité physique" et celle que l'on puisse "clarifier nos obligations morales inconditionnelles", parce que l'une et l'autre présupposent l'existence de quelque chose de non relationnel, quelque chose qui serait à l'abri des vicissitudes du temps et de l'histoire, quelque chose que n'affecteraient pas les variations des intérêts et des besoins humains.(...) Il faut cesser de se préoccuper de savoir si ce que l'on croit est bien fondé, et commencer à se demander si l'on possède une imagination suffisante pour inventer des alternatives intéressantes à nos croyances présentes.» Dans ce sens, une pensée antidualiste, en évitant de faire «d'une différence importante de degré un dualisme métaphysique,(...) en rejetant la distinction essence – accident, et en effaçant les frontières de l'esprit et de la matière» privilégie «la continuité sur les clivages de toutes sortes, ainsi que la production du nouveau sur la contemplation de l'éternel.» L’espoir au lieu du savoir, Richard Rorty

 

La "norme" «dont le fonctionnement est irréductible au vieux système de la Loi», tente plutôt «d’atteindre l’intériorité des conduites individuelles afin de leur imposer une courbe déterminée. Elle ne saisit pas l’individu à l’occasion d’actes précis et ponctuels, mais tâche d’investir la totalité de l’existence.» De fait, «la norme est diffuse, sournoise, indirecte: elle finit par s’imposer au détour de mille et mille réprimandes mesquines.» Or, «c’est la forme de l’examen qui s’impose comme corollaire du pouvoir disciplinaire,(…) l’examen, à l’école, à l’hôpital, à l’usine, assure l’objectivation des corps dociles.(…) C’est lui qui nous fabrique des identités conformes au pouvoir disciplinaire.» À ces “rituels de vérité“, s’oppose la parrhèsia, «un dire-vrai qui ne relève ni d’une stratégie de démonstration, ni d’un art de la persuasion, ni d’une pédagogie.(...) Dans la parrhèsia celui qui parle se lie au contenu vrai de son discours, non plus cependant comme dans l’aveu sous la forme de l’obéissance à l’Autre et dans l’espoir du salut, mais, dans le risque courageux de sa propre mort, pour manifester un rapport à soi structuré par la liberté.» Michel Foucault, Frédéric Gros

 

«D'un côté, dans la question "comment s'assurer qu'un énoncé est vrai ?", je crois que vous trouvez le fondement, la racine d'une tradition importante dans la philosophie occidentale, que j'appellerais la tradition de l'analytique de la vérité ; de l'autre côté, la question "quelle importance y a-t-il à dire la vérité, qui est capable de dire la vérité et pourquoi devons-nous dire la vérité, la connaître et identifier qui est capable de la dire ?" se trouve, je crois, à la racine, au fondement de ce que nous pourrions appeler la tradition critique de la philosophie dans notre société.(...) Le megalopsuchos ne cache rien, il préfère l'alêtheia à la doxa, la vérité à l'opinion ; le megalopsuchos n'aime pas les flatteurs et, ce qui est intéressant, c'est aussi qu'il peut kataphronein, regarder les autres de haut en bas, ce qui est l'un des traits de la parrêsia, de l'homme qui est capable de dire la vérité.(...) En tant qu'êtres humains nous sommes capables de dire la vérité et de nous transformer nous-mêmes, de transformer nos habitudes, notre ethos, notre société, de nous transformer nous-mêmes en disant la vérité.» Discours et vérité, Michel Foucault

 

L’espoir est une forme de “pensée magique”, «indissociable de la peur, ou de l’angoisse, dont il constitue un paravent ou un anesthésique plus ou moins efficace.» Il est lié à un «état pathologique (névrotique) caractérisé par l’adoption de propos et de comportements artificiels, convenus, stéréotypés,(…) conçus par la personne névrosée comme devant être ceux que l’on attend d’elle de la part de son entourage.» Ce “faux-self” «résulte d’un mécanisme classique de défense de la personne percevant son milieu originel comme hostile, ou indifférent.» Il s’agit, au contraire, de «se repositionner en acteur capable de potentialiser ses épreuves, et non plus en victime,(…) en revendiquant l’entière responsabilité de leur survenue.(...)L’assertivité librement exercée a vertu d’exemple, quand elle donne à voir des autorisations mises en œuvre pour mieux et bien vivre ! (…) Il ne tient qu’à chacun de nous de revendiquer par les faits nos responsabilités légitimes.» Car, «contrairement aux apparences, l’antonyme d’espoir n’est pas désespoir, mais action.» 120 mots clés pour s’émanciper, Gian Laurens

 

 

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