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LE MONDE UN, ceci n'est pas un exercice
10 juillet 2019

4. L'impensable solitude du Monde Un

 

 

 

 

La mesure humaine du vide

 

«De la différence fonctionnelle entre les deux modes d'accession à la réalité que sont les visions du monde d'un côté, les savoirs acquis à travers l'expérience de l'autre, découle pour beaucoup d'hommes le sentiment d'un "déficit de sens" qui serait inhérent à la réalité (physique aussi bien qu'humaine) telle qu'elle se dévoile à nous à travers nos interactions cognitives et pragmatiques avec notre environnement.(...) Le savoir est [en effet] doublement intraitable : il frustre notre désir d'un fondement stable et absolu, puisqu'il nous découvre que, loin d'être souverains face à la réalité, nous y sommes pris ; et il ne satisfait pas notre besoin de vivre dans un monde familier, puisqu'il nous force à accepter que l'activité finalisée, le seule mode d'être qui fasse sens pour nous, ne régit pas la réalité comme telle.(...) Il est donc absolument vital non seulement que nous disposions de représentations adéquates du monde dans lequel nous vivons mais encore que nous ayons la possibilité de nous aménager un "monde intérieur" vivable. En l'absence d'un tel équilibre interne, nous serions en effet vite envahis par des conflits endogènes qui nous rendraient incapables de réagir adéquatement face au monde extérieur.» La fin de l'exception humaine, Jean-Marie Schaeffer

 

«Nul être humain ne parvient à se libérer de la tension suscitée par la mise en relation de la réalité du dedans et de la réalité du dehors»; mais «cette tension peut être soulagée par l’existence d’une aire intermédiaire d’expérience, qui n’est pas contestée (arts, religion, etc.). Cette aire intermédiaire est en continuité directe avec l’aire de jeu du petit enfant “perdu” dans un jeu.» Il s’agirait «avant tout d’un mode créatif de perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine d’être vécue; ce qui s’oppose à un tel mode de perception, c’est une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure: le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s’ajuster et s’adapter.» Or, «la soumission entraîne chez l’individu un sentiment de futilité, associé à l’idée que rien n’a d’importance.» Cependant, «même en cas de soumission extrême et d’établissement d’une fausse personnalité, il existe, cachée quelque part, une vie secrète qui est satisfaisante parce que créative ou propre à l’être humain dont il s’agit. Ce qu’elle a d’insatisfaisant est dû au fait qu’elle est cachée et, par conséquent, qu’elle ne s’enrichit pas au contact de l’expérience de la vie.» Jeu et réalité, Donald W. Winnicott

 

Au cours de l'initiation des indiens Hopi : «Maintenant, dit-on aux enfants, vous savez que les vrais Katcina ne viennent plus danser “comme autrefois” dans les pueblos. Ils ne viennent plus que de façon invisible, et ils habitent les masques les jours de danse de façon mystique.» Ne dirait-on pas «la perte de quelque chose qui sera cependant recouvré après transformation, et sous la garantie des autorités.» En comparaison, au théâtre «on dirait que si quelqu’un (un acteur) nous montre qu’on peut jouer ce personnage comme rôle, il nous révèle du même coup (…) toute notre réserve de rôles imaginaires, toutes les vies que nous ne vivons pas, tous les remèdes à l’ennui; et il nous révèle cela, devant le public, où il y a, croyons-nous vaguement, quelque part (on ne sait où) quelqu’un (on ne sait qui) qui doit y être trompé. C’est peut-être la partie cachée de notre Moi, “l'agence du rêve”.» En d’autres termes, «il faut que ce ne soit pas vrai, que nous sachions que ce n’est pas vrai, afin que les images de l’inconscient soient vraiment libres. Le théâtre (…) serait tout entier comme la grande négation, le symbole de négation, qui rend possible le retour du refoulé sous sa forme niée.» Clefs pour l’Imaginaire, Octave Mannoni

 

«Le déclin de la vision du monde qui sous-tendait la magie fut l'avers de l'apparition [d'un] sens nouveau de la liberté et de la maîtrise de soi. Selon ce nouveau concept de soi, la magie semble entraîner un asservissement, un emprisonnement du moi dans des forces extérieures mystérieuses, voire un ravissement ou une perte d'identité.(...) Là où nous pensons à une activité de sujets, s'exerçant sur certains objets ou par rapport à eux, (…) la tradition semble situer l'évaluation dans les objets eux-mêmes.(...) La signification d'objets de louange habite, pour ainsi dire, les choses dignes de louange. On pourrait presque l'imaginer comme quelque chose qui en émane.(...) [Or,] la pensée et le sentiment – le psychologique – sont désormais confinés à l'esprit. Cela procède de notre désengagement du monde, de son "désenchantement".(...) Le désengagement de l'ordre cosmique signifie que l'agent humain ne doit plus se concevoir comme un élément appartenant à un ordre plus vaste et signifiant. Il doit découvrir ses raisons d'être paradigmatiques en lui-même.(...) Et ceci engendre une image de l'individu souverain qui, "par nature", ne dépend d'aucune autorité. La condition de la soumission à l'autorité doit être créée.» Les sources du moi, Charles Taylor

 

Dès lors que «les autres accordent une valeur aux solutions que nous trouvons à nos conflits et drames individuels, nous pouvons avoir le sentiment que notre vie est réellement signifiante.» C'est qu’à la faveur de l’évolution, «le mécanisme qui aidait nos ancêtres à ne pas se battre jusqu'à la mort dans la lutte pour la prééminence, l'abandon du combat étant suivi d'une dépression légère, est devenu maintenant la source d'une épidémie.(...) Chacun ou presque a parfois le sentiment que la vraie vie ne saurait se limiter à l'existence réelle qu'il mène.» Cependant, mieux vaut se méfier de la “puissante illusion culturelle“ selon laquelle «il existe un vrai moi, complètement réalisé, enfoui à l'intérieur», et «qu'il nous suffit de nous brancher sur ce moi profond pour atteindre la réussite triomphale que nous espérons.» Plutôt procéder à un «démantèlement de ces convictions», si l'on tient à «vivre dans une conception du monde aussi proche que possible de la vérité». Même s’il arrive que l’opération soit cruelle, comme «le jour, peu après mes dix-huit ans, où je me suis réveillé avec cette pensée d'une évidence totale : Dieu n'existe pas.» La peur de l'insignifiance nous rend fou, Carlo Strenger

 

«Se perfectionner dépend empiriquement d'une combinaison entre un vouloir, un effort, un projet individuel, et un partage des finalités morales et culturelles inscrites dans l'environnement avec lequel l'individu est relié.(...) Mais ce n'est pas du côté de son intériorité que le sujet humain peut découvrir les instruments de son renouvellement. C'est au contraire en donnant du pouvoir à ce qui l'affecte du dehors qu'il peut les repérer.(...) L'articulation d'une "réponse" à ce qui nous affecte introduit à une théorie de l'action qui peut rappeler les pensées classiques de la mécanique du conatus. Quand l'action est déconnectée de la situation, elle équivaut à une agitation. Quand l'affection passive quant à elle n'est pas relayée par une action, le sujet est impuissant. La connexion en jeu est ainsi essentielle à la maturation de l'individu. L'impuissance, l'absurde, ou l'action vaine, sont abordées aussi bien par Dewey que par Winnicott comme des interruptions de la croissance et de la subjectivation.(...) La continuité des expériences au cours de la vie ne se confond pas avec une existence paisible. Mais elle est ce qui mène à éprouver le sentiment de sa propre existence.» Sortir hors de soi, Joëlle Zask

 

La notion adlérienne de “compensation“ désigne «un des moteurs essentiels de l’action et correspond à cette dynamique du vivant d’aller toujours vers un Plus, un Mieux pour échapper à l’insécurité.(...) Chez le sujet “nerveux, inadapté, névrosé, psychotique ou autre, il apparaît que tous ses efforts sont dirigés vers un but qui n’est pas celui du commun des mortels. Toute son énergie s’épuise pour un monde d’illusions fictif, différent du nôtre.(…) Le vécu trop intense de son infériorité dans la réalité aboutit à la perte du courage de pouvoir résoudre de façon positive ses problèmes vitaux, dans le sens de l’ajustement à la société. Il n’y a plus recherche du but réel de la perfection ou du succès mais celle du but fictif de la valorisation personnelle. Dans ce monde de fiction il développe un sentiment illusoire de valeurs supérieures.(...) L’intéressé, nous dit Adler, souffre réellement mais préfère encore cette souffrance à la souffrance plus grande qu’il éprouverait s’il devait laisser paraître son échec devant le problème qu’il avait à résoudre. Il préfère se soumettre à toutes les souffrances nerveuses plutôt qu’à la mise à nu de son manque de valeur.» Adler et l’adlérisme, Mormin & Viguier

 

«Rien ne peut nous faire plus plaisir, à nous autres enfants de la modernité, que de penser que l'on ne peut être dupé. Seule une conception capable de promettre qu'elle mènera à bien le projet moderne de désenchantement du monde, en nous empêchant d'être victime de la moindre désillusion, flattera l'image que nous entretenons sur nous-mêmes d'être totalement à l'abri de toute tentation d'auto-illusionnement.(...) Renoncer à notre "statut de personnes sophistiquées" exige de nous que nous acceptions de prendre le risque d'être déçus ; c'est pourquoi nous ne sommes contents que lorsque nous connaissons absolument tout ou lorsque nous ne connaissons rien. Nous préférons l'autre solution que constitue le scepticisme complet à la possibilité d'une vraie connaissance, avec tous les risques d'erreur que cela implique.(...) Putnam semble suggérer que cela fait partie de l'humain que l'on soit sujet à des passions philosophiques qui nous amènent à renoncer aux conditions de notre humanité.(...) Il s'ensuit en outre que la tendance du réalisme philosophique qui consiste à effacer le visage humain de notre image du monde et nous-mêmes en lui est en soi une tendance profondément humaine.» Introduction au Réalisme à visage humain, James Conant

 

«Pour Valery, le mot courant prend une vertu magique sitôt que le philosophe l'utilise. Wittgenstein ne pense pas autrement,» toutefois, il «fait remarquer (à propos de la métaphysique) que parfois "l'élimination de la magie a le caractère de la magie".(...) Il s'agit pour lui de détecter même en science le phénomène de la croyance inconditionnelle, de combattre ce besoin irrationnel de vénération, cette exigence infantile de merveilleux, cette quête désespérée de la profondeur. Toute la critique wittgensteinienne de l'explication (scientifique) unitaire et réductrice s'enracine dans la dénonciation de la croyance infantile : "C'est en réalité uniquement cela".(...) L'angoisse métaphysique ou existentielle n'est qu'un épiphénomène traduisant dans la sphère affective un problème linguistique profond.(...) Dans son entreprise destructrice, Wittgenstein a eu le sentiment de détruire non pas "tout ce qui est grand et important", mais seulement châteaux de cartes et faux-semblants.(...) Ce qu'il faut au philosophe pour l'apaiser est une façon globale de voir les choses, non une explication hypothétique, une Übersicht, non une théorie.» Ludwig Wittgenstein, Christiane Chauviré

 

«Le "désenchantement du monde" a été une épreuve qui a profondément altéré le pouvoir consolateur de la raison. C'est pourquoi, à l'inverse de leurs prédécesseurs, les philosophes modernes ne s'arrogent plus le droit de consoler.(...) [L'homme moderne] qui recherche la réconciliation ne se satisfait ni d'être inconsolable ni d'être consolé (...) : tout ce qui fait obstacle à son désir de plénitude doit être vaincu dans un savoir d'un nouveau genre.(...) Là réside la principale différence avec les pensées de la consolation : la réconciliation n'offre pas autre chose que ce qui a été perdu, elle offre, si l'on ose dire, la même chose en mieux.(...) Devant nous se présente le fantasme de l'homme augmenté : immortel dès cette vie, d'autant plus vivant qu'il n'est plus séparé ni de l'univers, ni des autres, ni de lui-même, existant par-delà la séparation de la nature et de l'artifice. Toujours déjà consolé puisqu'il n'a rien perdu.(...) L'inconsolé est l'homme moderne conscient de la rupture (il n'existe plus de point de vue de surplomb depuis lequel tout serait justifié) et soucieux d'y répondre (la consolation passe désormais par l'invention de nouvelles manières d'être ensemble).» Le Temps de la consolation, Michaël Fœssel

 

 

Par la grâce de la finalité

 

«Lorsque l'âme s'ouvre aux impressions de "l'univers", s'y abandonne et s'y plonge, elle devient susceptible (…) d'éprouver des intuitions et des sentiments de quelque chose qui est pour ainsi dire un surplus caractéristique et "libre" qui s'ajoute à la réalité empirique, un surplus que ne saisit pas la connaissance théorique du monde et de la connexion cosmique, telle qu'elle se constitue dans la science.(...) L'objet numineux s'oppose non seulement à tout ce qui est habituel et bien connu, c'est-à-dire en dernière analyse à la "nature" en général ; il ne passe pas seulement dans le domaine du "surnaturel", il finit par s'opposer au "monde" lui-même et s'élève à la hauteur du "transcendant".(...) Presque partout, le numineux attire à lui les conceptions formées par l'idéal social comme par l'idéal individuel, celles de l'obligatoire, du légal et du bien. Ces idées deviennent la "volonté" du numen qui s'en fait le gardien, l'ordonnateur et le fondateur. Elles s'insèrent toujours davantage dans son essence même et la moralisent. Le "sacré" devient "bon" et le "bien" devient par là même "sacré", "sacro-saint".» Le sacré, Rudolf Otto

 

«Dans la mesure où j’espère, où je m’inquiète d’une vérité qui me soit propre, d’une façon d’être ou de créer, dans la mesure enfin où j’ordonne ma vie et où je prouve par là que j’admets qu’elle ait un sens, je me crée des barrières entre quoi je resserre ma vie. Je fais comme tant de fonctionnaires de l’esprit et du cœur qui ne m’inspirent que du dégoût et qui ne font pas autre chose, je le vois bien maintenant, que de prendre au sérieux la liberté de l’homme.(...) Un monde qu’on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier. Mais au contraire, dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu’il est privé des souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise.» Or, «cette privation d’espoir et d’avenir signifie un accroissement dans la disponibilité de l’homme.(...) Ce qui le liait, c’était l’illusion d’un autre monde.(…) La clairvoyance qui devait faire son tourment consomme du même coup sa victoire. Il n’est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.(…) Ce monde absurde et sans dieu se peuple alors d’hommes qui pensent clair et n’espèrent plus.» Le mythe de Sisyphe, Albert Camus

 

Le fait «que la religion relève désormais de la sphère des opinions privées signifie que la compréhension que nous avons de nous-mêmes n’est plus ordonnée à une altérité transcendante ayant force d’instituant symbolique. La question devient alors la difficulté à être soi, à légitimer son ipséité. C’est en ce sens que la question de la folie revêt une acuité particulière, comme si la question leibnizienne “pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?” devenait véritablement insupportable, lorsqu’elle devient une question du type: “pourquoi moi suis-je là ?”» Déjà avec Leibniz et Kant l’idée s’imposa que «la nécessité logique ne suffit pas à exprimer la totalité» et que «seule l’harmonie permet de constituer cette nécessité en système.(…) Aussi la raison exige-t-elle l’idéal d’une totalité. Il appartient alors à la faculté de juger d’assurer le passage de l’entendement à la raison.» Toutefois, «comme telle l’unité finale demeure une idée régulatrice et ne saurait donner lieu à une connaissance.» Cela conduit à considérer avec Lacan que «l’identité est toujours imaginaire et n’est pensable que selon sa référence à l’Autre comme signifiant qui ne nous livre aucun sens ou aucune vérité qui serait celle d’un moi profond.» Kant et la finalité, Jean-Marie Vaysse

 

Ce qu'il y a «d’original dans la réfutation schopenhauerienne de la liberté, c’est qu’elle se fonde sur la qualité humaine qui semble à première vue le reflet même de sa liberté, et la meilleure preuve qu’on en puisse donner la volonté.(…) Cette volonté, dans laquelle on voyait le signe de l’indépendance, est tout au contraire le lieu précis de la servitude.(...) Lorsque nous nous interrogeons sur les mouvements de notre corps,(…) nous faisons l’expérience personnelle de (…) cette motivation cachée qui préside à toutes les relations de cause à effet et qu’on sent présente dans toutes les forces naturelles.(...) Il n’est pas question pour Schopenhauer de ramener l’homme à des “instincts, mais d’inscrire la totalité du comportement humain dans une égale et identique nécessité.» De ce point de vue «l’humiliation repose donc en réalité sur le sentiment de l’absence de causalité, qui est le seul aspect profondément asservissant des instincts.(...) Aux sources de l’étonnement schopenhauerien (…): on ne se demande plus pourquoi il y a un monde, mais d’où provient le besoin de lui attribuer une cause.» Schopenhauer, philosophe de l’absurde, Clément Rosset

 

«Le hasard est impensable, car penser un phénomène est très exactement lexpliquer par des causes. Il est tellement impensable que, pour le penser, on le transforme contradictoirement en cause.» On peut dire que «la seule explication possible dun phénomène avec finalité à partir de phénomènes sans finalité est le hasard.» Or, «expliquer la vie par le hasard, c’est (…) assimiler l’être vivant à une machine avec cette seule différence que ce nest pas une machine construite par un ingénieur conscient, mais produite par hasard.» Mais alors surgit une contradiction, car «on ne peut en effet concevoir une fin, un but en vue duquel on combine des moyens, sans une conscience, mieux une conscience intelligente, qui fixe ou se fixe ce but et combine ces moyens. Une finalité non consciente est aussi contradictoire qu’un carré non quadrilatère ou qu’un cercle carré.» Cependant, si l’on considère que «d’une part, le milieu tend à faire varier au hasard des circonstances les constantes et que, dautre part, lorganisme réagit pour empêcher ces variations.(…) C’est donc bien essentiellement que la biologie implique le hasard, car il ny a du contraléatoire que parce quil y a de l’aléatoire.» Le paradoxe de la vie, Francis Kaplan

 

«Comment saurions-nous où aller acheter des éclairs au café, si nous n’étions pas capables du raisonnement: “Les éclairs au café sont des gâteaux, les gâteaux sont vendus chez les pâtissiers, donc les éclairs au café sont vendus chez les pâtissiers” ?(...) Quand on commence un calcul, on a l’assurance qu’on va le terminer, et on peut en général évaluer a priori combien de temps ou combien de travail cela va demander.» Cependant, «la recherche d’un raisonnement ne se ramène pas à l’application d’une méthode systématique, mais uniquement à l’application d’une méthode partielle poursuivant sa recherche à l’infini quand la phrase n’est pas démontrable.(...) Pour les optimistes, l’impossibilité de réduire le raisonnement au calcul (donnant toujours un résultat) montre que le raisonnement est un outil intrinsèquement plus puissant.» En revanche, «si le raisonnement permet de démontrer une chose et son contraire, il s’agit alors d’une véritable faillite.(…) Les théories incohérentes sont des définitions incorrectes de l’univers de leur discours car dans un univers donné, il est impossible qu’une phrase soit à la fois vraie et fausse.» La logique, Gilles Dowek

 

«Je suis comme un milieu entre Dieu et le néant, c'est-à-dire placé de telle sorte entre le souverain être et le non-être,(...) que si je me considère comme participant en quelque façon du néant ou du non-être,(…) je me trouve exposé à une infinité de manquements, de sorte que je ne me dois pas étonner si je me trompe.(...) De plus, il me tombe encore en l'esprit, qu'on ne doit pas considérer une seule créature séparément, lorsqu'on recherche si les ouvrages de Dieu sont parfaits, mais généralement toutes les créatures ensemble : Car la même chose qui pourrait peut-être avec quelque sorte de raison sembler fort imparfaite, si elle était toute seule, se rencontre très parfaite en sa nature si elle est regardée comme partie de tout cet Univers : Et quoique depuis que j'ai fait dessein de douter de toutes choses, je n'ai connu certainement que mon existence, et celle de Dieu, toutefois aussi depuis que j'ai reconnu l'infinie puissance de Dieu, je ne saurais nier qu'il n'ait produit beaucoup d'autres choses, ou du moins qu'il n'en puisse produire, en sorte que j'existe, et sois placé dans le monde, comme faisant partie de l'universalité de tous les êtres.» Méditations métaphysiques, René Descartes

 

«L'affirmation de la vie ordinaire trouve son origine dans la spiritualité judéo-chrétienne, mais c'est la Réforme qui, à l'époque moderne, lui a donné son élan particulier.(...) Ce n'était pas l'usage des biens qui engendrait le mal, répétaient sans fin les prédicateurs puritains, mais nos mauvaises intentions.(...) Ou, pour le dire autrement, nous devrions aimer les biens de ce monde, mais notre amour devrait, pour ainsi dire, les traverser pour atteindre leur Créateur.(...) L'ascétisme doit se tenir à l'intérieur des pratiques de la vie ordinaire.(...) La vie supérieure ne peut plus se définir par une espèce exaltée d'activité ; tout se ramène à l'esprit dans lequel on vit, qu'importe ce qu'on vit, même l'existence la plus mondaine.(...) [Ainsi,] l'enquête scientifique s'inscrit dans l'effort de l'homme pieux pour utiliser les choses conformément à la volonté de Dieu.(...) [Et] le progrès technologique est le critère du véritable savoir.(...) Nous agissons dans un esprit d'admiration, d'émerveillement et de gratitude. Car en exerçant ainsi notre raison, nous comprenons que nous occupons la place qui nous revient dans le plan de Dieu. La rationalité instrumentale est notre façon de participer à la volonté divine.» Les source du moi, Charles Taylor

 

«C'est bien parce qu'il est doté d'un esprit qu'un homme peut développer des théories qui ramènent cet esprit à la matière !» Certes, «il est légitime, et on peut le justifier méthodiquement, d'exclure la question du but, de la recherche de finalité, parce que l'on voit la nature d'une certaine manière. Mais il n'est pas légitime, je dirais même qu'il n'est pas rationnel, d'en déduire qu'il n'y a pas de finalité.» Que serait l'«Évolution, si la Résurrection et la Vie éternelle n'étaient pas sa fin ultime ?» Car, «la question-clé dont toutes les autres dépendent est celle-ci: le monde dans lequel nous vivons, et notre vie dans celui-ci, ont-ils un sens ? Seul a un sens, ce qui est orienté vers un but, vers une fin. Sans Raison, pas d'orientation, pas de projet, pas de design.» En fait, s'il faut croire que «tout n'est que produit du hasard et de la nécessité, il n'en émane aucun précepte, ni aucune revendication de droits qui lui soient propres. En revanche, si la créature a un "être" qui lui est propre, un "être" voulu par Dieu, alors, et alors seulement s'impose une responsabilité envers elle.» Hasard ou plan de Dieu ?, Christoph Schönborn

 

«Bien que la téléologie soit exclue de la science contemporaine, on ne doit certainement pas l'écarter a priori. Du point de vue formel, la possibilité de principes de changement au cours du temps qui tendent vers certains types de résultats est cohérente dans un monde où les lois non téléologiques ne sont pas totalement déterministes.(...) Selon l'hypothèse de la téléologie naturelle, le monde naturel aurait une propension à donner naissance à des genres d'êtres pour lesquels il existe un bien – des êtres pour lesquels les choses peuvent être bonnes ou mauvaises.(...) Même si la sélection naturelle détermine en partie le détail des formes existantes de vie et de conscience et des relations qu'elles entretiennent, l'existence du matériel génétique et les formes possibles qu'il met à la disposition de la sélection, doit être expliquée autrement. Pour l'hypothèse téléologique ces choses peuvent être déterminées non seulement par une chimie et une physique indépendantes de toute valeur, mais aussi par autre chose, à savoir une prédisposition cosmique à la formation de la vie, de la conscience et de la valeur qui en est inséparable.» L'esprit et le cosmos, Thomas Nagel

 

«Si nous sommes des "poussières d'étoiles", c'est que les étoiles ont travaillé pour nous. Si l'Univers est si vaste, c'est que nous ne pouvions naître qu'à un moment assez tardif de son expansion. Si la matière n'a cessé de se complexifier au lieu de se cristalliser dans des structures d'équilibre, c'est qu'un principe mystérieux fait de la flèche cosmique une flèche historique., au bout de laquelle nous rencontrons la Terre, la vie, l'homme et la loi morale. Certes la loi morale n'est pas une loi physique (…). Mais la loi morale nous apparaît aujourd'hui comme appartenant pourtant à un ordre secret de l'Univers en évolution (…). Elle est un appel à la perfection, dans un Univers qui a ménagé déjà un berceau pour la vie, et dont les énigmes s'offrent au cerveau de l'homme comme les procédés (…) d'un grand dessein auquel l'homme, doté d'esprit, a vocation de participer. Un temps bien vécu est un temps immortel, puisqu'îl est déjà immortalisé dans l'épopée d'une magnifique Histoire.» Le temps, Hervé Barreau

 

 

Ainsi soit le dessein

 

Le "dogme central du darwinisme" pose «la présence de mutations au hasard entre lesquelles un agent véritablement tout-puissant, la sélection naturelle, trie (...) en fonction de critères indéfinissables comme la valeur de survie, qui n'est pas mesurable indépendamment de la survie, ou l'utilité, qu'on ne peut mesurer davantage.» Mais, le concept d'orthogenèse selon lequel «l'évolution ne revient pas en arrière, c'est donc qu'elle va en avant,(...) a été avancé comme un argument en faveur de la téléologie, d'une direction de l'évolution, dont les darwiniens ont horreur.» Or, «si l'environnement agit sur le phénotype, c'est le phénotype qui choisit l'environnement.(...) Le processus n'est pas positivement aléatoire mais cybernétique.(...) Si l'antilope s'entraîne à courir de plus en plus vite, elle aura plus de chances grâce à son phénotype de repasser des gènes à sa descendance.(...) Ce qui revient à une hérédité des caractères acquis sur le plan des populations.» Le darwinisme ou la fin d’un mythe, Rémy Chauvin

 

«La différence essentielle entre les formes animées et les formes inanimées peut se résumer à ceci : un cristal d'atomes forme des structures géométriques "cuboïdales", "pyramidales", etc., régulières dans toutes leurs directions, avec des plans et des coins reliant les plans. Un cristal de fibres forme, lui, des structures en fuseau, en navet, en citron, en échalote ou tout ce qu'on voudra, avec des pôles où convergent les fibres.(...) On s'attendrait, dans une image finaliste, à ce que la forme des poissons, ou celle des épines ou des dards, soient le résultat d'une adaptation à leur fonction, qui est fort différente dans les divers cas : l'hydrodynamique ne joue pas de rôle dans les épines de roses (dures pour se défendre), alors qu'elle en joue un pour les poissons (pour la nage, évidemment). En fait, il est probable que la fonction, et la sélection correspondante, jouent sur les paramètres d'un mécanisme de morphogenèse qui, de toute façon, ne peut guère faire autre chose que des fuseaux ou des pointes.(...) La sélection fait le tri dans les patrons, mais ce sont les possibilités de construction qui délimitent le champ des patrons possibles.» Des pieds et des mains, Vincent Fleury

 

«L'évolution en tant que dérive phylogénique naturelle n'a pas de finalité et ne suit aucune direction préétablie.» D'ailleurs, «la sélection naturelle est un résultat, et non un mécanisme génératif.(...) La conduite, comme réalisation dynamique de l'organisme au fil de ses interactions dans un milieu, est la réalisation de son mode de vie et fait à chaque moment partie de la réalisation de son phénotype ontogénique. Pour cette raison, il n'y a pas et il ne peut y avoir stricto sensu de détermination génétique d'aucun caractère ou trait de la conduite d'un organisme, puisque ceux-ci surgissent de manière systémique durant sa dérive ontogénique.(...) La conduite est en fait un aspect de l'épigenèse.(...) Le génotype total détermine un cadre d'épigenèses possibles, et agit de même avec la conduite, en déterminant un champ de conduites possibles, sans le spécifier, puisque les conduites surgissent de manière systémique dans la relation être vivant – milieu. Les variations dans la réalisation des conduites à l'intérieur du champ de leurs possibles ne s'héritent pas, c'est pourquoi l'interprétation du devenir des êtres vivants en termes lamarckiens comme résultat de l'héritage de caractères acquis n'est pas soutenable.» De l'origine des espèces, Maturana & Mpodozis

 

«Lorsque les extinctions ont tellement élagué un buisson évolutif qu'il n'en subsiste plus qu'une seule lignée (...), nous inventons alors un roman faisant de cette poussière une apothéose de l'évolution.(...) N'identifions pas un élément perdu à l'extrême périphérie d'une distribution avec la richesse de cette distribution.(...) L'être humain est un pur produit du hasard, et non le résultat inéluctable de la directionnalité de la vie ou des mécanismes de l'évolution.(...) Lors de n'importe laquelle des centaines de milliers d'étapes de la séquence particulière qui a donné l'être humain actuel, toute variation infime et parfaitement plausible aurait produit un résultat différent, et aurait précipité l'histoire sur une autre trajectoire qui n'aurait jamais conduit à homo sapiens, ou à toute autre créature dotée d'une conscience.(...) Si un énorme corps extraterrestre – dernière balle perdue provenant du ciel – n'avait pas déclenché l'extinction des dinosaures, il y a soixante-cinq millions d'années, les mammifères seraient encore de petites créatures, marginalisées dans un monde de dinosaures, et incapables d'acquérir une plus grande taille pour loger un cerveau suffisamment gros pour engendrer une conscience.» L'éventail du vivant, Stephen Jay Gould

 

Nombre de chrétiens se sentent acculés entre «accepter une conception naturaliste et renier leur foi ou nier la représentation scientifique pour préserver le contenu de leur foi.» D'où la prétention de la théologie naturelle de «parvenir à comprendre la nature et à affirmer l'existence de Dieu sans avoir recours à une mystique ou à une révélation, mais seulement à la sphère du sens commun et de la raison naturelle (celle de la logique, des mathématiques et des sciences).» Pour le Père Boulet, «il est strictement impossible qu'un animal, si complexifié soit-il dans le développement de ses neurones, devienne à un moment donné une personne capable de conscience réfléchie. De la matière ne peut jaillir l'esprit.» Il y a donc bien «recherche d'un accord entre la science et la foi... du moins jusqu'à un certain point, et ce point est clair : c'est le statut de l'être humain.(...) La proximité de l'homme avec l'animal, affirmée par la science, suffit-elleexpliquer nos penchants mauvais, jusqu'à nous en dédouaner ?(...) Une telle confusion entre représentation (scientifique) et conception (idéologique) n'est pas justifiée.» Car, la Bible «ne veut pas enseigner comment a été fait [comment va] le ciel, mais comment on va au ciel.» Dieu versus Darwin, Jacques Arnould

 

Beaucoup de gens pensent que «ce qui est complexe n'a pas pu apparaître par hasard.(...) [Ils] finissent ce "apparaître par hasard" comme synonyme de "apparaître sans dessein délibéré".(...) Ils voient dans l'improbabilité la preuve d'un dessein.» Pourtant, «depuis Darwin, il n'est plus vrai de dire que (...), tout ce qui évoque un plan de conception émane nécessairement d'un dessein. Les résultats de l'évolution par sélection naturelle donnent à s'y méprendre l'illusion d'un dessein, jusqu'à des niveaux prodigieux de complexité et d'élégance.» Par ailleurs, il est «parfaitement plausible qu'il n'existe pour l'univers qu'une seule façon d'être. Mais pourquoi cet agencement unique devait-il être celui nécessaire à notre future évolution ? Pourquoi fallait-il qu'il soit ainsi, ayant presque l'air d'être comme si, selon les termes du physicien théoricien Freeman Dyson, "il devait savoir que nous allions venir ?"(...) Dans sa forme la plus générale, la réponse anthropique est que l'on peut discuter de cette question uniquement dans un univers capable de nous produire.» Pour en finir avec Dieu, Richard Dawkins

 

«La dimension sociale du mode de vie de nos ancêtres a permis l'apparition d'une nouvelle faculté, celle de se figurer une conception du monde et d'autrui dans laquelle nous sommes capables d'inférer les intentions d'un individu à partir de son comportement. Ce bond de géant dans la compréhension d'autrui, probable cause ou bien probable conséquence – possiblement les deux à la fois – du développement du langage, mais assurément vecteur de progrès de l'intelligence humaine et de la fondation des civilisations, est appelé théorie de l'esprit.(...) En élargissant le champ d'application du module de théorie de l'esprit au-delà de son périmètre légitime, celui des interactions humaines, le cerveau donne du sens à la nature.(...) Certains phénomènes sont tellement intrigants que les explications rationnelles mécanistes, physico-chimiques semblent loin du compte, et même proprement incroyables.(...) À partir de son émerveillement devant la nature et de la perplexité qu'il éprouve face à sa complexité, l'être humain, suivant sa tendance naturelle, explique l'inexplicable par un projet nourri par l'univers.» L'ironie de l'évolution, Thomas C. Durand

 

«Pour que nous puissions nous étonner du fait que l'univers est ce qu'il est, il doit être exactement tel qu'il est, sans quoi nous ne serions pas ici et ne pourrions pas nous en étonner.(...) Tout se passe comme si les lois de la physique nucléaire étaient planifiées de la sorte à dessein, en vue de leurs conséquences sur l'évolution des étoiles et de l'univers.(...) [Ce] principe anthropique ne propose aucune explication pour les coïncidences cosmologiques.(...) [Or,] d'un point de vue biblique, même les faits les plus banals sont mystérieux et merveilleux, car Dieu est derrière chacun d'entre eux, il influe sur l'homme comme sur la nature, il est omniprésent et transcende tout.(...) Traduite dans le langage de la science moderne, qui exclut par principe l'hypothèse divine, la finalité d'une évolution ne devrait toutefois pas s'appeler "Dieu", mais "propriété naturelle de l'univers".(...) [Mais,] c'est précisément l'usurpation du nom de Dieu pour désigner les forces de la nature, dans la conception causale de l'univers, que les théologiens modernes condamnent très fortement.» L'avenir de l'univers, Arnold Benz

 

«Plus l'on a découvert de choses sur l'Univers, plus il est apparu que notre planète n'était qu'une parmi tant d'autres. Pour autant, la découverte relativement récente de l'ajustement extrêmement fin de tant de lois de la nature pourrait conduire certains d'entre nous à reconsidérer cette vieille idée d'un grand dessein, œuvre de quelque grand architecte.» En effet, «le simple fait d'exister restreint les caractéristiques du type d'environnement dans lequel nous vivons. Ce principe est appelé principe anthropique.» De plus, il faut admettre que «la plupart des constantes fondamentales de nos théories apparaissent finement ajustées. En d'autres termes, si on les modifie même faiblement, l'Univers devient qualitativement différent et dans de nombreux cas incapable de développer la vie.» Toutefois, si «les coïncidences environnementales de notre système solaire ont perdu leur caractère remarquable lorsqu'on a constaté qu'il existait des milliards de systèmes analogues. De la même manière, l'ajustement fin des lois de la nature peut aujourd'hui s'expliquer par l'existence de multiples univers.» Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers ?, S. Hawking & L. Mlodonov

 

Sans les lois de la physique, «l’Univers n’aurait jamais quitté l’état indifférencié de son magma initial.» En revanche, «si leur empire étendait son contrôle déterministe sur tout ce qui se passe, aucune diversité n’existerait dans le monde.» Ainsi, «à chaque cause correspond un effet et un seul, affirmait la physique classique. Non pas un, mais une brochette d’effets possibles, répond la physique quantique. Seules les probabilités de chacun des événements nous sont connaissables.(...) Les théories du chaos (…) nous présentent, en échange, un nouveau mode d’investigation du futur. Au cours du temps, un système évolue (converge) vers une configuration stable et prévisible (bassin d’attraction) indépendamment de son état initial.» Or, il faut rappeler «qu’un système complexe possède des propriétés émergentes associées à sa globalité.(...) Cette globalisation se retrouve également au niveau psychique. Sa réalité se manifeste en négatif quand elle fait défaut, chez les schizophrènes par exemple. Au cours de la vie elle s’obtient, nous disent les psychanalystes, à travers le processus “d’individuation”, par lequel l’être humain coordonne et conscientise ses différentes pulsions.» Oiseaux, merveilleux oiseaux, Hubert Reeves

 

Scientifiquement parlant, «les concepts sont admis à l’échelle de leur rentabilité.(…) L’hypothèse de lexistence de l’électron rend compréhensibles de larges pans de la réalité.(…) Pour cette raison, le physicien admet lexistence des électrons.» Mais, lorsqu’il s’agit de conjectures métaphysiques hasardeuses, «l’être humain (…) est-il mené en bateau par son insatiable désir de “sens”, par son allergie incontrôlable pour l’ “absurde. Est-il victime de son optimisme viscéral ?» Une version du fameux principe anthropique pourrait être: «L’univers possédait, dès les premiers instants, les propriétés requises pour élaborer la complexité.(...) De ce principe, on a dit qu’il était vide de contenu”, “tautologique”, “parfaitement anthropomorphique. On a parlé du retour du religieux. On y a vu une résurgence du dieu des failles. Ce dieu auquel certains font appel devant un phénomène apparemment inexplicable, mais que la science déloge quand elle en trouve lexplication.» Peut-être n’est-ce pas «un retourdu religieux mais plutôt une ouverture nouvelle sur linterrogation métaphysique et religieuse. A chacun de laborder à sa façon.» La Première Seconde, Hubert Reeves

 

 

Carrément rondement mené

 

«Il est dans la nature de l'Homme de s'être séparé de la nature, d'être véritablement et définitivement anature.(...) Chaque individu est non seulement unique, mais à chaque instant biologiquement différent de ce qu'il fut l'instant précédent et de ce qu'il sera dans l'instant qui suit.(...) Toutes ces opérations de plasticité morphologique sont liées à l'expression, continuée chez l'adulte, des gènes de développement et, par conséquent, au maintien de propriétés embryonnaires dans des régions cérébrales d'importance majeure du point de vue de la mémoire.(...) Cette forme d'indéterminisme, que certains philosophes, voire quelques physiciens, appelleront peut-être liberté, je me contenterai de la considérer comme la possibilité donnée de s'adapter par individuation, et je la nommerai donc, en opposition à l'instinct, intelligence.(...) Homo sapiens représente une espèce unique qui, à la suite de quelques mutations, aura pour ainsi dire creusé, en matière d'individuation, un écart considérable avec ses cousins les plus proches, les autres primates.(...) Même si le fantasme existe d'un destin tout tracé par la structure génétique et la machine neuronale. À ce fantasme, on ne peut qu'opposer le fait que l'individuation est un processus sans fin, mais aussi sans finalité.» Machine-esprit, Alain Prochiantz

 

«Un organisme ne pourrait pas s'adapter à un environnement changeant s'il n'était pas tout à la fois robuste et flexible, s'il ne possédait aucun degré de liberté pour se modifier de manière cohérente.(...) [La plasticité,] une étonnante capacité de la forme à s'affranchir d'elle-même, à se vulnérabiliser et à briser le cercle étroit de l'identité à soi, tout en préservant une unité et une cohérence véritables.(...) Au cours de l'évolution, si la complexité d'un organisme s'accroît, la plasticité n'envahit pas tous les systèmes qui le composent (...), mais elle a tendance à s'accroître dans les systèmes situés à des niveaux d'intégration de plus en plus élevés.(...) Le cerveau humain, par exemple, présente d'étonnantes propriétés de plasticité synaptique qui rendent possibles l'apprentissage et, par là, une évolution déterminée par la culture.(...) [De fait,] une complexité durable exige la plasticité "à haut niveau", condition nécessaire pour enclencher les stratégies de défense appropriées, les initiatives adaptatives adéquates.(...) L'ascendance de la plasticité vers les zones les plus vitales des organismes complexes pourrait être un indice que cette capacité d'autodécollement de soi de la forme caractérise précisément l'essence du vivant comme tel.» Comment les pattes sont venues au serpent, Dominique Lambert

 

«L'improbabilité de la coïncidence de la vie avec un environnement possible pour elle, c'est-à-dire adapté, est sans doute aussi grande que celle de l'apparition de la vie elle-même.(...) L'adaptation de la vie à son environnement représente en effet une espèce de connaissance.(...) Nous pouvons, si nous le voulons, décrire carrément la vie comme une résolution de problème, et les organismes vivants comme les seuls êtres complexes de l’univers qui résolvent des problèmes.» En effet, «il y a énormément de savoir inné chez les plantes et les animaux.» Et on peut considérer que leurs «besoins innés sont des théories innées.» Mais, tandis que «l’amibe est éliminée lorsqu’elle fait une erreur.(…) Einstein, lui, recherche les erreurs.» Car, «en science, nous laissons nos hypothèses mourir à notre place.(...) Le besoin pressant de découvrir notre environnement, d’en apprendre sur lui, bref de savoir (…)aboutit aux mythes, aux sorciers, aux prêtres.» Et inévitablement, «le besoin sera pressant aussi de posséder un dogme commun, et de se suggérer réciproquement la vérité de ce dogme.» Ainsi, «on craint l’insécurité, et le dogme devient une croyance fanatique.» Toute vie est résolution de problèmes, Carl Popper

 

«La seule façon d’ouvrir l’information-structure d’un organisme, d’ouvrir l’entité organique individuelle régulée, est de la transformer en servomécanisme, c’est-à-dire de l’inclure dans un niveau d’organisation supérieur, à savoir le groupe social, mais dont la finalité devra être la même que la sienne.(...) Un cœur, par exemple, est bien une pompe biologique dont la fonction consiste à mobiliser la masse sanguine. Mais il ne faut pas faire l’erreur de croire que c’est là sa finalité. Ce n’est que le moyen de maintenir sa structure organisée en participant au maintien de celle de l’organisme entier.(…) Un cœur continue de battre dans un liquide de survie car l’expérimentateur qui l’a isolé,(…) se charge, lui, de son approvisionnement énergétique.» Dans cet ordre d’idée, «la collecte des faits mémorisés ne se fait pas au hasard chez l’homme. Elle se fait avec la motivation de protéger sa structure, ce que nous avons appelé la recherche de l’équilibre biologique, du plaisir. Le jour où l’homme sera capable de créer des machines dont la finalité (…) ne se situera pas en dehors d’elles-mêmes, dont la collecte des informations ne sera pas dictée par l’homme, mais par le “désir” propre de la machine, il aura sans doute alors réalisé un modèle de son comportement.» La nouvelle grille, Henri Laborit

 

«L’idée centrale de Piaget est que le développement est une “évolution dirigée par des nécessités internes d'équilibre”.» Un double mécanisme opère, où «le pôle accommodateur exprime la contrainte du réel et permet au sujet de se plier aux exigences du milieu.» Tandis que «l’accommodation au point de vue des autres permet à la pensée individuelle de se situer dans un ensemble de perspectives, assurant ainsi son objectivité et réduisant son égocentrisme.» D’ailleurs, «l’accommodation tient une place évidente dans l’expérimentation et le développement des explications causales.» De son côté, «la notion d’assimilation met l’accent sur l’activité du sujet dans le processus de connaissance.(…) Piaget donne l’exemple du jeu comme conduite assimilatrice presque pure.(…) Au lieu de s’accommoder à des exigences externes, le sujet active ses schèmes d’assimilation pour le plaisir de le faire.(...) Plus la conduite est adaptée, plus on peut dire que les deux mécanismes (…) sont équilibrés.(…) L’assimilation cesse de déformer le réel en fonction du point de vue propre, elle devient synonyme de compréhension et déduction; l’accommodation cesse de se mouler aux données extérieures et devient expérience intelligente.» Piaget ou l’intelligence en marche, Montangero & Maurice-Naville

 

«Pour conserver un fonctionnement moteur et cérébral optimal, tous les organismes vivants tentent d'atteindre un état d'équilibre interne qui s'appelle l'homéostasie.(...) Cet état d'équilibre est aussi souhaitable pour le fonctionnement cognitif que pour celui du corps : lorsque des informations entrent en désaccord avec vos préférences, vos convictions, vos croyances ou vos comportements, vous éprouvez un état de tension qui rompt votre homéostasie.(...) Cette tension est la dissonance cognitive.(...) Naturellement, le cerveau aspire à vouloir réduire cette tension. (...) Nous changeons constamment la valeur des informations qui nous parviennent et avec lesquelles nous interagissons à travers des mécanismes de réduction de la dissonance cognitive.(...) [Ainsi,] contrairement à une idée largement répandue, nous ne rendons pas service seulement aux gens que nous apprécions, nous apprécions aussi les gens à qui nous rendons service parce que nous leur rendons service. Nous adaptons nos actions et nos jugements sur autrui en fonction de la manière dont nous interagissons.» Votre cerveau vous joue des tours, Albert Moukheiber

 

«La notion d'émergence par accroissement de la complexité est très étroitement liée à celle de causalité.(...) L'esprit est né progressivement et très naturellement de la matière au cours de l'évolution.(...) L'organe, c'est-à-dire le cerveau (avec tous ses éléments et tous ses prolongements) est donc, dès son origine, au service de la fonction de connaissance et non l'inverse.(...) Dans les assemblages simples il suffit de faire appel à la causalité montante (bottom-up en anglais) par association successive d'éléments composants, dont les propriétés s'additionnent ou se superposent. En revanche, dans les assemblages ou constructions complexes, les propriétés nouvelles ne se manifestent que par la coopération de tous les éléments et disparaissent dès qu'un seul est déficient. On parle alors d'une causalité descendante (top-down).(...) Ce n'est pas au niveau des commandes musculaires qui ont donné le coup de frein qu'il faut chercher pourquoi on doit s'arrêter aux feux rouges ! Mais plutôt faire appel à des notions d'une autre nature tels que la prudence ou le respect des règlements.» De la matière à l'esprit, Maurice Sadoulet

 

«La simple observation raffinée du comportement des animaux peut nous conduire à y rencontrer des ébauches de presque tous les traits humains culturels.(...) Les études des protocultures animales montrent que l'homme a aussi hérité de protocultures élaborées par ses ancêtres, qu'il a pu ensuite adapter et transformer en une culture humaine. Dans la nature, prise au sens de l'environnement biologique, existe donc déjà une part culturelle. Ou encore l'animalité est à la fois nature et (ébauche de la) culture.(...) Grâce à l'utilisation de son puissant cerveau, l'homme a pu se livrer à une transformation, à une adaptation des contraintes imposées par la "nature".(...) L'homme est d'abord un animal.(...) Définir ce que l'évolution a permis, dans le domaine de l'émergence de la complexité, et également dans celui de l'émergence locale du phénomène humain, amène à s'interroger sur les origines les plus lointaines de l'évolution biologique et de l'être humain, à retourner aux sources même de l'évolution de l'univers, au "Big Bang" originel et à la naissance des étoiles.» KANT et le chimpanzé, Georges Chapouthier

 

«Toute l'éducation, qui a pour but de le faire participer [l'enfant] à la vie des adultes, a pour effet d'insérer sa propre durée dans celle de tous les autres ; c'est ainsi que l'éducation se distingue du dressage, et que le temps des adultes s'implante dans la représentation de l'enfant.(...) On se trouve ici dans la longue phase de transition (…) entre la connaissance d'un "temps agi et perçu" et d'un "temps représenté".(...) Elle peut être très légitimement utilisée, comme on le voit dans toutes les civilisations, à initier l'enfant à la gymnastique, à la musique, à la danse, à tous les arts où il s'agit de maîtriser le temps par les gestes et non par la pensée.(...) Si la succession est apprise par l'action, la simultanéité l'est par la coopération, la compétition ou la rivalité.(...) Par la communication et la vie sociale sans doute, et par le jeu, surtout le jeu collectif. "L'en même temps" s'oppose alors au successif, et le temps dans son unidimentionalité apparaît.(...) La subordination de l'action à la représentation s'effectue, en particulier, dans le jeu enfantin (...). Ainsi la représentation passe peu à peu du plan théâtral au plan mental proprement dit ; le mental acquiert la mobilité qui a d'abord appartenu au geste.» Le temps, Hervé Barreau

 

«Les propositions "la terre tourne" et "il est commode de supposer que la terre tourne" sont identiques. La vérité d'une hypothèse peut être déclarée objective dans la mesure où elle est commode, ce que d'autres esprits que le mien peuvent reconnaître.(...) On ne peut reconnaître le vrai sans ses conséquences sur l'action et sur la vie.(...) L’utilité et la commodité sont des valeurs qui ne s'opposent à la vérité que si on fait de celle-ci l'unique norme qui guide la connaissance.» Ainsi, «en assimilant les théories à des organismes, Poincaré retrouve son idée d'un devenir du vrai : les théories évoluent et doivent s'adapter aux faits nouveaux.(...) La science n'est pas une construction artificielle mais prolonge une sorte de connaissance instinctive enracinée dans la nécessité pour le connaissant de s'adapter au monde.(…) Il ne s'agit donc pas d'une reprise au sens de transmission génétique mais de la répétition d'opérations dont la nécessité provient de ce que, malgré le temps, nous sommes dans un même monde et une même nature mais, comme nous ne sommes plus dans le même temps, nous procédons autrement.» Poincaré, Xavier Verley

 

«Les sciences cognitives n'opposent plus l'émotion et la raison : chaque émotion possède sa raison d'être, elle a évolué parce qu'elle était utile.(...) Prenez la curiosité.(...) Chaque fois que nous apprenons, notre cerveau reçoit une récompense interne.(...) On trouve donc, chez l'espèce humaine en particulier, une réelle motivation pour l'apprentissage qui peut être aussi forte que pour la nourriture, le sexe ou l'argent.(...) L'apparition de la vision a constitué une étape clé (…) parce que auparavant, l'organisme était limité à une représentation de son environnement immédiat : il ne "voyait" rien d'autre que les molécules chimiques qui interagissaient directement avec lui. Grâce à la vision, il est devenu capable de se représenter des objets distants,(...) de se représenter ces informations et de les manipuler mentalement.(...) La capacité d'élaborer un plan (…) permet, grâce à une exploration mentale, de faire l'économie d'une exploration réelle.(...) [De même,] beaucoup d'animaux jouent. Car c'est de cela qu'il s'agit : le jeu est une forme d'apprentissage. C'est une sorte de simulation qui peut être purement mentale, ou avec des actions incomplètes, ludiques, c'est-à-dire sans danger.» Les aventures de l'intelligence, Stanislas Dehaene

 

 

Singularité du Monde Un

 

«Par "rupture ontique" j'entends le postulat qui soutient qu'il existe deux classes d'étants, l'homme d'un côté, tout le reste de l'autre.(...) L'hypothèse scientifique la plus robuste (en l'état actuel de nos connaissances) concernant la provenance de l'être humain est en consonance avec les cosmogonies continuistes plutôt qu'avec la thèse de la rupture ontique.(...) C'est précisément cette discordance entre notre savoir et nos croyances qui est à l'origine du double-bind auquel nous condamne notre adhésion à la Thèse [de l'exception humaine].(...) [En effet,] l'unité du vivant ne se réduit pas au fait que les êtres les plus "élémentaires" – par exemple l'amibe – partagent avec les êtres les plus "complexes" – par exemple l'être humain – les mêmes principes de structuration.(...) Elle signifie encore que ces mêmes amibes sont un maillon causal irréductible dans la longue évolution ayant mené au développement d'une vie mentale (…). Loin de correspondre à une rupture ontique, les facultés mentales humaines apparaissent alors comme un résultat naturel parmi d'autres de l'évolution biologique.(...) Dès lors qu'on abandonne le présupposé dualiste, l'existence d'êtres vivants capables d'avoir des états conscients n'est pas plus "extraordinaire" que celle d'animaux ayant des ailes qui leur permettent de voler.» La fin de l'exception humaine, Jean-Marie Schaeffer

 

«Les hommes font partie d'un réseau dense qui remonte à la prise de possession de la Terre par les bactéries.» De fait, «les plantes, les champignons et les animaux ont émergé du microcosme. Sous les différences superficielles qui les séparent, tous sont, hommes compris, des communautés ambulantes de bactéries.(...) Il n'est pas absurde de postuler que la conscience même qui permet aux hommes d'explorer les accomplissements de leurs cellules naquit peut-être de la concertation de millions de microbes qui mirent leurs facultés en commun et évoluèrent pour devenir le cerveau humain.» On pourrait même dire que ce «microcosme évolue au travers des êtres humains.» C'est dire aussi que «les pouvoirs de l'intelligence et de la technologie des hommes ne leur appartiennent pas en propre, ils appartiennent à toute la vie.» Au fond, «que les humains transportent dans l'espace l'environnement primitif de l'antique microcosme ou qu'ils meurent en essayant d'y parvenir, la vie semble véritablement tentée d'aller dans cette direction.» Or, «seule l'exploration scientifique complète des mécanismes de contrôle de Gaïa nous permet d'espérer construire des habitats autosuffisants dans l'espace.» L'univers bactériel, L. Margulis & D. Sagan

 

«Concevoir tout objet et entité comme clos entraîne une vision du monde classificationnelle, analytique, réductionniste.(...) Mais nous avons la possibilité d’avoir des méta-points de vue. Le méta-point de vue n’est possible que si l’observateur-concepteur s’intègre dans l’observation et dans la conception.» Ainsi, un «principe dialogique nous permet de maintenir la dualité au sein de l’unité.» Par exemple, «chaque cellule de notre organisme contient la totalité de l’information génétique de cet organisme. L’idée donc de l’hologramme dépasse, et le réductionnisme qui ne voit que les parties et le holisme qui ne voit que le tout.» Biologiquement parlant, «un système auto-organisateur se détache de l’environnement et s’en distingue, de par son autonomie et son individualité,» mais en même temps, «il se lie d’autant plus à lui par l’accroissement de l’ouverture et de l’échange qui accompagnent tout progrès de complexité: il est auto-éco-organisateur.(…) L’environnement est du coup à l’intérieur de lui et (…) joue un rôle co-organisateur.(...) Être sujet, c’est être autonome, tout en étant dépendant. C’est être quelqu’un de provisoire, de clignotant, d’incertain, c’est être presque tout pour soi, et presque rien pour l’univers.» Introduction à la pensée complexe, Edgar Morin

 

«Émerger, c'est être enregistré :(...) s'il en allait autrement, la matière serait toujours en passe de se dissoudre, de disparaître et de repartir à zéro.(...) Exister c'est résister (…) : il y a des objets du monde qui existent indépendamment de nos pensées, et c'est là quelque chose dont nous faisons l'expérience justement lorsque ces objets résistent à nos pensées.(...) L'individu ne peut être pénétré jusqu'au fond par la pensée, il ne peut jamais être réduit à la transparence, et c'est là précisément le sens de la différence entre existence et essence, c'est-à-dire, dans mes termes, entre ontologie et épistémologie.(...) Typiquement, une poignée invite à être saisie, via une propriété qui ne se trouve pas dans le sujet, mais dans l'objet, preuve supplémentaire du fait que dans d'innombrables cas, la signification se trouve dans le monde et non dans notre tête.(...) Nous nous trouvons non pas dans un désert organisé par les concepts, mais dans un monde riche en directions, invitations, interactions et institutions.(...) Quand il ne l'est pas, nous nous en apercevons et nous mourons d'ennui et de dépression ; nos concepts ne suffisent pas à nous tenir compagnie.» Émergence, Maurizio Ferraris

 

«L'univers dure. Plus nous approfondirons la nature du temps, plus nous comprendrons que durée signifie invention, création de formes, élaboration continue de l'absolument nouveau.(...) La doctrine de la finalité, sous sa forme extrême (…), implique que les choses et les êtres ne font que réaliser un programme une fois tracé.(...) Comme dans l'hypothèse mécaniste, on suppose encore ici que tout est donné. Le finalisme ainsi entendu n'est qu'un mécanisme à rebours.(...) Notre intelligence, telle que l'évolution de la vie l'a modelée, a pour fonction essentielle d'éclairer notre conduite, de préparer notre action sur les choses, de prévoir, pour une situation donnée, les événements favorables ou défavorables qui pourront s'ensuivre. Elle isole donc instinctivement, dans une situation, ce qui ressemble au déjà connu ; elle cherche le même, afin de pouvoir appliquer son principe que "le même produit le même". En cela consiste la prévision de l'avenir par le sens commun. La science porte cette opération au plus haut degré possible d'exactitude et de précision (…). Ce qu'il y a d'irréductible et d'irréversible dans les moments successifs d'une histoire lui échappe.» L'évolution créatrice, Henri Bergson

 

«Le cerveau a besoin d’information sur ses propres activités, mais il n’est pas assez malin pour se comprendre lui-même dans toute sa complexité. C’est pourquoi il a construit (…) des séries d’illusions de l’utilisateur pour lui-même. Et c’est ce qu’est la conscience, à mon sens.» Dans cette idée, «songeons à l’enfant, qui se dit qu’il est tel personnage, qu’il fait ceci ou cela: c’est là une pratique universelle. Nous autres adultes le faisons plus élégamment: en silence, tacitement, sans le moindre effort, en prenant note des différences entre nos fantaisies, nos reconstitutions et nos réflexions sérieuses.» Cependant, «si un moi n’est pas une chose réelle, qu’advient-il de la responsabilité morale ? (…) S’il n’y a pas de “bureau ovale” dans le cerveau, abritant une autorité suprême à laquelle on peut faire appel de toutes les décisions, la menace semble alors peser d’une bureaucratie kafkaïenne d’homoncules, qui répondent toujours (…): “Ne me blâmez pas. Je ne fais que travailler ici.”» Cela dit, «une perle cérébrale (…) un fantôme dans la machine, intrinsèquement responsable, est une babiole pathétique à brandir comme un gri-gri face à cette menace.» Comment nous tissons notre moi, Daniel Dennett

 

«La présence d'une boucle de rétroaction, même assez simple, incite fortement les humains à changer de niveau de description; à oublier la mécanique dénuée de buts (où ce sont les forces qui déplacent les choses) pour passer directement au niveau délibérément orienté de la cybernétique (où, pour parler sans détours, ce sont les désirs qui font se mouvoir les choses).(...) Bien que l'auto-perception humaine commence aussi innocemment que l'humble mécanisme du flotteur d'une chasse d'eau (…), sans trace d'une quelconque causalité contre-intuitive, elle finit inéluctablement par postuler une entité émergente exerçant une causalité inversée sur le monde.» Toutefois, «une boucle étrange d'auto-représentation "brute" ne donne pas naissance à un soi distinct elle n'est qu'une coquille générique, standard, qui a besoin qu'un contact avec le monde extérieur lui fournisse de quoi acquérir une identité propre.» Ainsi, «chacun vit partiellement dans le cerveau de l'autre (…) à la limite jusqu'à ce que la notion de frontière claire entre eux se dissolve lentement.» Mais, «l'idée de l'interpénétration et de la fusion des âmes est simplement trop compliquée, voire inquiétante.» Je suis une boucle étrange, Douglas Hofstadter

 

«Ce que l'on appelle usuellement une forme, c'est toujours, en dernière analyse, une discontinuité qualitative sur un certain fond continu.(…) L'essence de la théorie c'est de ramener les discontinuités apparentes à la manifestation d'une évolution lente sous-jacente.» En effet, «le continu est en quelque sorte le substrat universel de la pensée.(…) Mais on ne peut rien penser de manière effective sans avoir quelque chose comme du discret dans ce déroulement continu des processus mentaux : il y a des mots, il y a des phrases, etc.» Plus généralement, «nous sommes faits pour voir essentiellement des discontinuités. Elles seules sont significatives.» À cela s’ajoute que «les gens préfèrent poser l'hypothèse que le système n'a qu'un nombre fini et très petit d'états, car si ce nombre est important, on ne peut pas travailler.» Or, «si la conviction se répand dans le monde que tout y est comme sur un écran de télévision, on en arrive à dire que, finalement, là où nous voyons de la continuité, il n'y a en réalité que de la discrétion, des particules discrètes, et c'est tout.(…) C'est donc une hypothèse de technologie que celle de la discrétisation de l'univers.» Prédire n'est pas expliquer, René Thom

 

«La théorie du chaos étudie comment (...) des mécanismes peuvent acquérir au cours de leur mouvement une liberté dont ils ne jouissaient pas au début. La réponse se situe dans cette marge ténue qui sépare le zéro mathématique du presque rien.(...) Un système chaotique amplifie les petits écarts, et les petits écarts seulement ; il fait accéder les phénomènes microscopiques à l'échelle macroscopique. Les grandes déviations, elles, engendrent de grandes déviations, comme on pouvait s'y attendre.(...) [Or,] c'est dans l'amplification des petites déviations que se loge le hasard.(...) On obtient ainsi des phénomènes macroscopiques que l'on attribuera au hasard parce que leurs causes sont imperceptibles.(...) Jusqu'au XXème siècle, la notion de modèle déterministe se confond avec celle de modèle linéaire.(...) Entre-temps s'est déroulée la révolution informatique, qui a permis de calculer enfin les solutions d'équations non-linéaires et de les représenter graphiquement.(...) [Dans ces conditions,] proposer un modèle déterministe c'est aussi laisser un espace au hasard, une dimension à l'imprévisible.» Le Chaos, Ivar Ekeland

 

«En gros, ce que dit cette drôle de physique quantique est qu'il est possible et même fréquent que deux objets éloignés l'un de l'autre ne forment, en réalité, qu'un seul objet ! C'est cela l'intrication. Ainsi, si l'on touche l'un des deux, tous deux tressaillent.(...) Le hasard implique qu'on ne peut pas utiliser le fait que l'objet intriqué au premier réagisse également, pour envoyer une information.(...) Imaginons qu'Alice et Bob se rencontrent par hasard au coin de la rue.(...) C'est un exemple de deux chaînes causales, les cheminements d'Alice et Bob, qui se croisent et produisent ainsi un hasard du point de vue de chacune des deux personnes. Mais la rencontre était prévisible pour quelqu'un qui aurait une vue globale.(...) Mais qu'en était-il avant qu'Alice ne décide de se rendre au restaurant ? Si on admet qu'elle jouit de libre arbitre, alors avant qu'elle ne se décide, la rencontre était proprement imprévisible.(...)  La non-localité quantique ne permet pas la communication : rien ne va d'Alice à Bob, ni de Bob à Alice. Simplement – façon de parler –, un événement aléatoire se manifeste en plusieurs endroits, d'une façon non descriptible localement, donc d'une façon non locale.» L'Impensable Hasard, Nicolas Gisin

 

«Dans du continu homogène nous ne distinguerions rien.» Mais, «avec l'intellect apparaissent l'individuation et le langage. Sans individuation il n'y aurait pas de langage car le besoin n'en serait pas ressenti ; et en même temps le langage a pour raison d'être le désir d'annuler ou d'atténuer les effets de l'individuation en permettant aux entendements séparés de communiquer.» Alors, «pourquoi le Soi produit-il en lui l'intellect ?» De fait, «l’énigme des raisons de la production du monde à partir du Soi est l'inverse de celle de la volonté s'objectivant dans la représentation qui la nie (Schopenhauer), il faut admettre que cette production est inconsciente.» Il reste que «l’indépendance et la non-relativité au Soi du monde de la diversité sont une apparence (l'illusion causale).(...) Foncièrement il n'y a pas de pluralité d'intellects.» Autrement dit, «tant que chaque individu est un sujet pour lui-même et un objet pour les autres, aucune communication véritable n'a lieu, et les individus séparés sont des automates les uns pour les autres. En bref, l'individuation exclut l'intersubjectivité, mais le monisme la rend inutile (puisqu'il n'y a qu'un sujet).» Intuition et intuitionisme, Jean Largeaut

 

 

 

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